Cimenterie McInnis: secret béton
La cimenterie McInnis, à Port-Daniel–Gascons en Gaspésie, devrait servir d’exemple — d’exemple à ne pas suivre — pour le gouvernement Legault, qui entend manier les leviers de l’État pour intervenir dans l’économie et créer de la richesse.
Aux prises avec d’énormes dépassements de coûts et après une série de refinancements, la cimenterie McInnis est maintenant mûre pour être redonnée à un repreneur étranger, un lamentable dénouement pour ce projet dans lequel l’État québécois, par le truchement d’Investissement Québec, risque d’engloutir quelque 500 millions de dollars. Et c’est sans compter les pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec, que l’institution de la place Jean-Paul-Riopelle du Vieux-Montréal refuse obstinément de dévoiler pour l’heure.
Il est vrai que, des banquettes de l’opposition, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, n’a pas manqué de dénoncer ce projet, quitte à s’aliéner les électeurs gaspésiens. Fermant les yeux sur bien des aspects de ce projet bancal, le gouvernement Couillard, qui aurait pu mettre la hache dans cette initiative du gouvernement péquiste de Pauline Marois, a choisi d’aller de l’avant.
La cimenterie McInnis a vu ses coûts de construction passer de 1,1 milliard à 1,5 milliard. L’an dernier, l’entreprise conjointe a subi une deuxième restructuration financière. On en sait peu sur la situation financière exacte de la cimenterie, ou sur ce qui en est de la participation de la famille Beaudoin-Bombardier, le principal partenaire privé dans l’affaire.
Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a reconnu que la cimenterie n’était pas au bout de ses peines et que d’autres investissements seraient nécessaires. À l’heure actuelle, McInnis ne fonctionne pas à plein régime et elle aurait du mal à écouler son ciment sur les marchés.
Le premier ministre, François Legault, a indiqué qu’il n’était pas question que le gouvernement y aille d’une autre mise de fonds. Selon Le Journal de Montréal, des pourparlers ont cours avec Votorantim Cimentos, une société brésilienne qui est présente au Canada et aux États-Unis dans la région des Grands Lacs. Quel que soit le repreneur, qu’il soit étranger ou québécois, on envisage une vente au rabais.
Les activités du plus important producteur de GES au Québec, avec une possibilité d’émettre 1,75 million de tonnes de gaz à effet de serre (GES), soit l’équivalent de 580 000 voitures, devraient donc se poursuivre et les 200 emplois seraient préservés. Il n’y a pas à dire : c’est beaucoup de pollution par emploi, beaucoup de millions aussi.
Si la cimenterie est cédée pour une bouchée de pain à des intérêts étrangers, ce ne serait pas sans rappeler la vente pour 1 $ de la CSeries à Airbus, une aventure où la famille Beaudoin-Bombardier s’était aussi distinguée. Mais la déconvenue de McInnis fait surtout penser au fiasco de Papiers Gaspésia. Abandonnée en 2004, cette modernisation d’usine avait connu des dépassements de coûts insoutenables, creusant une perte de l’ordre de 330 millions en dollars courants pour le trésor public. Là aussi, le pouvoir politique avait voulu intervenir pour créer de bons emplois dans une région où ils ne courent pas les rues.
Cette déconfiture avait commandé une commission d’enquête publique présidée par le juge à la retraite Robert Lesage. Formulant une vingtaine de recommandations, son rapport écorchait la FTQ, qui contrôlait le chantier, critiquait l’aveuglement du gouvernement et dénonçait l’absence d’un véritable maître d’œuvre du secteur privé, un opérateur qui, bien au fait des tenants et aboutissants de l’industrie, aurait misé son propre capital.
Si on a pu connaître les raisons de l’échec de la Gaspésia, il en va tout autrement des déboires de Ciment McInnis. S’enfermant dans un mutisme étanche, la Caisse de dépôt, qui nous avait habitués à plus de professionnalisme, ne se donne même plus la peine d’accuser réception des demandes des journalistes. On se réfugie sans doute derrière le fait qu’il s’agit d’une compagnie privée dont les stratégies peuvent rester secrètes. On ne veut pas non plus nuire aux négociations avec un éventuel acheteur. Soit. En revanche, un gouvernement ne peut dilapider 500 millions de fonds publics sans fournir d’explications à la population.
Beaucoup de questions se posent. Ainsi, après le récent ratage de l’usine de lithium Nemaska et celui de McInnis, on peut se demander si on est en mesure au Québec de construire efficacement des complexes industriels d’envergure. Le gouvernement Legault, qui mise sur l’interventionnisme de l’État dans l’économie, a le devoir de faire toute la lumière sur les déboires de McInnis.