Un avenir pour la «patente à gosse»
Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, n’a guère été charitable lors de l’étude des crédits de son ministère la semaine dernière quand il a qualifié de « patente à gosse » la structure financière de Nemaska Lithium, une entreprise minière qui s’est placée à l’abri de ses créanciers. D’autant moins charitable que de petits actionnaires, pas nécessairement très fortunés, ont tout perdu du placement boursier de quelque 100 millions qu’ils avaient versé dans l’aventure.
La patente aura une suite puisqu’Investissement Québec (IQ), qui a englouti jusqu’ici 71 millions dans ce projet de mine de lithium à la Baie-James associée à une usine de transformation du minerai à Shawinigan, ajoutera 95 millions pour sauver l’entreprise, une somme qui, à terme, sera portée à 300 millions. La Cour supérieure doit se prononcer sur cette proposition à la mi-septembre.
Comme c’est un investissement qui ne correspond pas aux normes d’IQ, c’est le Fonds de développement économique, dont les débours doivent être approuvés par le Conseil des ministres, qui allongera la mise.
Évalué à l’origine à 875 millions, le projet d’usine électrochimique, qui doit produire de l’hydroxyde de lithium entrant dans la composition des batteries lithium-ion que l’on retrouve notamment dans les véhicules électriques, a connu des dépassements de coûts majeurs, ce qui a fait bondir la facture à plus de 1,2 milliard. L’entreprise s’est démenée pour trouver des fonds afin d’achever les travaux. En vain. Les carottes étaient cuites.
Il est rassurant qu’IQ n’assume pas seule la relance de la minière. La firme londonienne Pallinghurst Group, qui se spécialise dans des investissements liés aux métaux entrant dans la fabrication de batteries, injecte les mêmes sommes, ce qui lui confère la moitié de Nemaska. IQ trouve dans ce partenaire une expertise que la société d’État ne possède pas. Ce groupe est d’ailleurs présent dans le capital d’une autre minière québécoise, Nouveau Monde Graphite, dont la production est aussi destinée à la fabrication de batteries.
Ce modèle de partenariat pourrait être envisagé pour d’autres projets miniers d’envergure au lieu de laisser des multinationales faire cavalier seul, avec l’aide de l’État québécois, de surcroît.
On peut sourciller en voyant Québec se porter au secours d’une compagnie minière. Mais il y a plus. François Legault a indiqué mardi qu’il ne voulait pas que les sources québécoises de lithium soient cédées à des intérêts étrangers. « Si on veut être capable de construire des batteries, ça commence par le lithium », a déclaré le premier ministre. Or plusieurs entreprises étrangères, dont chinoises, détiennent des droits sur des gisements de lithium au Québec.
Car les ambitions du gouvernement caquiste sont grandes. Nemaska, ce n’est qu’une pièce d’une nouvelle filière industrielle au Québec, celle de la fabrication de batteries, d’accumulateurs pour soutenir les sources d’énergie intermittente, comme le solaire et l’éolien, et de véhicules électriques. La production de l’usine ne sera pas destinée à concurrencer le lithium chinois sur les marchés étrangers, mais à assurer à cette nouvelle filière sa matière première à bon prix.
Le Québec ne part pas de rien. Déjà, certains éléments de cette filière sont présents, dont le Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie d’Hydro-Québec. Ce centre de recherche, issu des travaux de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ), détient des centaines de brevets dans les matériaux de batteries. Il a formé des partenariats notamment avec Mercedes-Benz.
On retrouve également au Québec des entreprises de fabrication de véhicules et de moteurs électriques, dont la compagnie Lion qui produit des autobus scolaires entièrement électriques. Il manque à la filière des fabricants de batteries de nouvelle génération.
IQ et Pallinghurst se sont engagés à investir ensemble 600 millions dans Nemaska, mais c’est un milliard qu’il faudra pour achever les travaux à l’usine et à la mine. On compte compléter le financement plus tard avec des titres de dette.
Ce n’est qu’une fraction des investissements qui seront nécessaires pour développer la nouvelle filière. Pierre Fitzgibbon estime qu’il faudra entre 7 et 8 milliards pour assurer l’essor de cette industrie, ce qui ne peut se faire sans l’apport d’acteurs internationaux.
Ce plan de développement est un exemple de la nouvelle orientation que le gouvernement Legault a donnée à IQ. Des visées plus ambitieuses mais aussi plus risquées. Or, il vaut mieux tenter de structurer un secteur que d’agir à la pièce. Et comme le veut l’adage, qui ne risque rien n’a rien.