Les enfants avant les formulaires

À l’époque où il siégeait comme député et critique en matière d’éducation, un certain Jean-François Roberge avait présenté le processus bureaucratique de reddition de comptes et la machine administrative de l’Éducation comme une bête s’apparentant à un monstre aux tentacules envahissants. Il est de notoriété publique que le « système » d’éducation est en effet devenu un ogre indomptable dont le gigantisme finit par nuire à son bon fonctionnement.

C’est pourquoi, de l’ensemble des mesures qui ont été présentées ce lundi aux parents encore inquiets par les retards scolaires de leurs enfants, la plus révolutionnaire concerne la décision du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, de reconduire pour deux ans, sans évaluation ni analyse administrative, l’ensemble des aides destinées aux enfants en difficulté. Après le règne encroûté de l’administration sur la pédagogie, cette décision ministérielle secoue sûrement la machine, et constitue une véritable bouffée d’air frais. Elle libérera comme par magie 560 000 heures de services directs aux élèves par des professionnels de l’éducation. 


Plutôt que de passer du temps à faire la démonstration que le service X est bel et bien nécessaire pour l’enfant Y en cochant les cases d’une frustrante bureaucratie, ces professionnels et dirigeants d’école pourront passer directement à l’étape essentielle et octroyer le service à l’enfant. Alléluia ! Dans certains cas, entre le début de l’évaluation et le moment où l’élève pouvait goûter à ce service requis pour sa réussite, six mois pouvaient s’écouler, une éternité en temps d’école. Cette demande traînait dans les dossiers depuis une dizaine d’années, semble-t-il ; si la pandémie a accéléré sa mise au monde, espérons qu’elle est là pour de bon. Et qu’elle donnera le ton à d’autres formes de rafraîchissement des manières de faire débranchées du terrain. Trop d’acteurs du réseau de l’éducation déplorent le fait qu’ils remplissent des formulaires quand ils devraient plutôt côtoyer des élèves. Si cette aberration est corrigée, ce sera un gain incommensurable.

Outre cette « révolution » dans les manœuvres ministérielles, les annonces de ce lundi contenaient plutôt des rappels que du neuf. Vingt millions d’argent frais sont prévus en services directs aux enfants, mais cette aide ponctuelle qui permettra de compléter des tâches et de pouvoir des postes n’est pas encore récurrente, à moins que le prochain budget n’en décide autrement.

Deux grandes inconnues demeurent autour de la rentrée scolaire et, à moins d’avoir une boule de cristal, il est pour le moment impossible d’en prédire la résolution. Combien d’élèves souffriront d’un retard important, de ce type de retard qui paralyse la poursuite des apprentissages et mettra en péril la réussite de l’année ? Et combien d’enseignants devanceront leur passage à la retraite, ce qui viendra compliquer d’autant la recherche de ressources enseignantes pour guider les élèves alors que la pénurie bat son plein ?

En guise de réponse à la première question tombent des prédictions plutôt sombres : avec la scolarité en dents de scie reçue à compter du mois de mars, on peut prédire sans trop se tromper que ceux pour qui les acquis scolaires étaient fragiles auront cumulé un inquiétant retard si on n’a pas sans cesse et de diverses manières — télé-enseignement, soutien de la famille, activités pédagogiques — allumé leur lanterne scolaire. Combien d’enfants sont passés d’un niveau à l’autre l’an dernier sans avoir atteint les objectifs requis, faute d’évaluation ?

M. Roberge a promis que serait dévoilée cette semaine une liste des « savoirs essentiels » associés à chaque année scolaire, sorte de phare guidant les enseignants dans ce brouillard qui sera le leur à la rentrée. Ils pourront mieux déterminer qui sont les élèves qui n’ont pas atteint les objectifs minimaux, et auront donc besoin d’être épaulés plus sérieusement que d’autres. Cette recension, jumelée à un ajout direct de ressources disponibles sans tarder, pourrait faire une réelle différence.

Quant à la cruciale question des ressources enseignantes, le ministre de l’Éducation se contente de dire qu’il sait très bien qu’il s’agit d’un « enjeu », mais qu’il attend le portrait réel que lui fourniront les centres de services scolaires à la rentrée avant de s’agiter. C’est un refrain connu, que la Santé a entonné bien avant l’Éducation, alors que les appels pour recruter des travailleurs de la santé ont transformé le premier ministre et son équipe en « gentils organisateurs » promettant mer et monde à quiconque se sentait pousser des ailes d’ange gardien. Devra-t-on recourir aux mêmes stratégies de séduction pour emplir les classes à l’automne ? Souhaitons vivement qu’à la gestion de la pandémie ne se superpose pas une gestion de pénurie.

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