À quand la paix durable?
Une revue de presse des 30 dernières années suffit à convaincre que les relations avec les Mohawks de Kanesatake sont teintées par la stagnation. Aux 5e, 10e, 15e, 20e, 25e et maintenant au 30e anniversaire de la crise d’Oka, les bilans et analyses produits dans les médias se ressemblent étrangement. C’est toujours la même histoire de plaies vives, de tensions encore présentes, de blessures qui tardent à cicatriser, de crainte d’un nouveau conflit dont personne ne veut. La seule variable qui change dans ces histoires interchangeables, c’est le marqueur temporel.
Voilà maintenant 30 ans que ça dure. Le 11 juillet 1990, à la suite d’une intervention bâclée de la Sûreté du Québec (SQ) pour démanteler une barricade autochtone sur la route 344, le caporal Lemay était tué par balle. S’en sont suivis 78 jours de siège, l’intervention de l’armée canadienne, le blocage du pont Mercier par les Mohawks de Kahnawake en guise de solidarité, et d’intenses négociations qui ont permis d’éviter un carnage entre les militaires et les Mohawks armés.
Une enquête publique du coroner a blâmé la SQ pour son manque de préparation. Trente ans plus tard, elle n’ose plus intervenir sur le territoire de Kanesatake, une zone franche de patrouille policière depuis que les Peacekeepers autochtones ont été chassés par des éléments criminels, en 2004, en même temps que le grand chef James Gabriel, dont la résidence familiale avait été incendiée.
La crise d’Oka a servi de prélude à la tenue de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones (Commission Erasmus-Dussault), la mère de toutes les enquêtes nationales qui ont suivi par la suite. Ses recommandations, pour la plupart ignorées, étaient unies par le fil conducteur d’une redéfinition complète des rapports entre Autochtones et non-Autochtones, dans l’espoir d’en arriver à un dialogue de nation à nation.
« Sans justice, il ne peut y avoir ni paix ni harmonie », rappelaient les commissaires. La crise d’Oka est née d’une injustice. Il y a trente ans, des élus locaux ont cru bon d’aménager un terrain de golf dans une pinède considérée comme sacrée par les Mohawks. Ils n’ont même songé à consulter ou à entendre les récriminations de leurs voisins autochtones. Ce n’était pas dans les mœurs de l’époque, ni au Québec, ni ailleurs au Canada. Il faudra attendre encore 14 ans avant que la Cour suprême affirme, dans l’affaire Nation Haïda, l’obligation de consulter les Premières nations lorsque des projets entrent en conflit avec leurs droits ancestraux ou revendications territoriales. Au moins, la police ne tasse plus les « Indiens » des barricades sur commande des élus locaux comme à l’époque de la crise d’Oka.
Comme le rappelle l’anthropologue Pierre Trudel dans nos pages, la prise d’armes dans un conflit politique contemporain est une anomalie dans l’histoire du Québec. Nous aurions pu croire que l’électrochoc d’Oka et la Commission Erasmus-Dussault allaient changer des choses, mais non. Trente ans plus tard, les revendications territoriales des Mohawks de Kanesatake restent inassouvies comme celles de la plupart des nations autochtones au Québec et au Canada.
La communauté se résume à une parcelle de terrains éparpillés au pourtour d’Oka. Les freins institutionnels et culturels à la réconciliation sont toujours aussi vifs. Malgré les appels constants du grand chef Serge Otsi Simon à la paix et au dialogue, il est confronté à un interlocuteur absent que l’on appelle le gouvernement fédéral de Justin Trudeau. Au-delà des larmes, des excuses, des beaux discours sur la réconciliation, ce dernier agit peu pour résoudre le noeud du problème, à Kanesatake ou ailleurs. Sans la pleine reconnaissance des droits ancestraux des Premières Nations et un partage du territoire et des ressources, la cohabitation harmonieuse sera impossible. Le conflit récent avec les Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, vient nous le rappeler.
À Kanesatake, il est tout de même étonnant de constater que la principale avancée des 30 dernières années vient d’un promoteur privé, Grégoire Gollin, prêt à céder 60 hectares de terres au conseil de bande et 150 hectares à Ottawa pour faciliter les négociations territoriales, en échange d’incitatifs fiscaux prévus au gramme de dons écologiques. C’est peu pour une communauté enclavée sur un territoire de 1200 hectares, mais il s’agit tout de même d’une avancée que le grand chef Simon a accueillie favorablement, contrairement aux traditionalistes pour qui il ne saurait y avoir de négociations sur un territoire non cédé. Aucune nation ne peut parler de ses droits de façon absolue dans les questions territoriales. Nous sommes tous là pour rester. « Seul un compromis mène à une entente », rappelle M. Gollin.
Cette entente privée, aussi louable soit-elle, ne remplacera jamais une négociation de nation à nation. Jeter les bases d’une cohabitation durable entre Kanesatake et Oka serait la meilleure façon de souligner un anniversaire autrement si triste.