Dompter la bête Santé
Le remaniement ministériel dévoilé lundi par le premier ministre du Québec n’a rien d’une opération cosmétique. Obsédé par l’efficacité et l’atteinte de résultats, François Legault resserre les boulons là où il pressent qu’un changement de garde assurera une plus grande efficience ; la reconstruction économique d’un Québec balayé par la pandémie annonce le besoin de ministres inébranlables là où des décisions douloureuses seront nécessaires. Ce rebrassage de cartes de milieu de mandat survient au bon moment et, dans l’ensemble, il rassure sur la suite des choses.
M. Legault a littéralement utilisé le mot « monstre » pour parler du réseau de la santé, où l’échec cuisant et lamentable de CHSLD en déroute reste une tache indélébile sur le dossier du Québec dans sa lutte contre le coronavirus. Il était prévisible qu’un dérapage d’une telle ampleur et aux conséquences si tragiques — des centaines de morts dans le sillon d’une gestion cahin-caha — n’allait pas résister aux ambitions pragmatiques du premier ministre.
La politique est cruelle : même si Danielle McCann a sauvé la mise en août 2018 en devenant la candidate « santé » de la Coalition avenir Québec, après le désistement de Gertrude Bourdon au profit du Parti libéral du Québec, l’ancienne p.-d.g de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal doit s’effacer de « son » réseau. Bonne joueuse, Mme McCann a rappelé que, même si elle était « venue en politique pour la Santé », elle comprenait qu’il revenait au premier ministre de déplacer ses joueurs, eussent-ils en apparence le profil parfait pour mener un paquebot sans gouverne. Elle cède le pas à Christian Dubé, solide gestionnaire dont la feuille de route au privé et à la Caisse de dépôt et placement laisse croire qu’il pourra dompter la bête Santé.
La commande est claire : améliorer la gestion et la responsabilisation des dirigeants du réseau « monstre » et veiller à ce que chacun d’entre eux soit responsable des résultats qu’il doit livrer. La plaie vive du drame des CHSLD colore cette demande : au-delà de la cascade de décès de personnes âgées survenus dans des conditions indicibles, le plus grand drame du chapitre noir CHSLD est bel et bien que cette catastrophe soit restée sans signature. Les coupables, perdus dans les méandres de la titanesque bête, auront toujours trouvé un autre palier sur lequel faire ployer la responsabilité. C’est navrant. Bien heureux celui qui permettra de clarifier les mystères du rendement du réseau de la santé.
La probabilité d’une seconde vague de COVID-19 appelle aussi un plan de match ficelé et solide, là où celui de la première vague a paru dans ses débuts pour le moins chaotique. Christian Dubé aura fort à faire : rebâtir sur des pans de fiasco et préparer une deuxième phase en quatrième vitesse.
François Legault scelle l’opération politique en prévoyant aussi un changement de garde au poste clé de sous-ministre, car Dominique Savoie remplacera Yvan Gendron. Le doublé Dubé-Savoie porte la promesse de changements ambitieux — et combien nécessaires —, mais gare aux coups de balai trop impétueux. Le réseau de la santé, ne l’oublions pas, porte encore les cicatrices de réformes qui l’ont littéralement défiguré. En soi, cela participe au problème.
L’arrivée de Sonia LeBel au Conseil du trésor, membre en règle du « trio » économique, signe l’ascension de l’ancienne procureure de la Couronne et figure de proue de la commission Charbonneau. Deux mandats d’importance l’attendent : conclure la négociation avec le secteur public — Mme LeBel s’est fait connaître en 2011 lors de la grève des procureurs de la Couronne, et on lui reconnaît cet habile mélange de recherche de compromis et de poigne de fer, le tout teinté de beaucoup de rigueur ; et remanier le projet de loi 61 pour vendre la loi de l’efficacité là où plusieurs ont décelé une manœuvre menant tout droit à la corruption et aux passe-droits. Cette dernière partie n’est pas gagnée, il faut le dire.
François Legault effectue quelques redressements ici et là avec d’autres pans de son remaniement. En mettant Nadine Girault à l’Immigration, il espère recoller quelques-uns des pots cassés par Simon Jolin-Barrette en cours de mandat, mais la mission de cibler l’immigration économique n’a pas changé. À l’Éducation, Jean-François Roberge conserve la confiance de son chef, malgré ses errements de la pandémie. Mais on le déleste du volet Enseignement supérieur, confié à Mme McCann. Les collèges et universités applaudiront de retrouver un interlocuteur unique, car ils ont semblé la dernière des préoccupations des deux dernières années.
Le premier ministre a parlé d’un « nouveau souffle », et il est vrai que tout remaniement donne en quelque sorte l’impression d’une page blanche. Mais cela n’est qu’une impression. Les nouveaux désignés ne pourront pas faire table rase ni non plus effacer les effets malheureux de réformes du passé ratées. Leur mission d’efficience n’en sera que plus délicate.