​Projet de loi 61: à boulets rouges

Rarement a-t-on vu un projet de loi, dont l’objectif général fait pourtant consensus, soulever autant de critiques et de craintes parfaitement justifiées. Si le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, s’attendait à recevoir des tapes dans le dos pour son travail législatif, il en fut quitte pour une dure désillusion au terme des consultations publiques en commission parlementaire. À part les municipalités, les milieux d’affaires et les entrepreneurs, qui ont un intérêt direct dans la manne que le gouvernement s’apprête à prodiguer, tous se sont entendus pour décrier plusieurs éléments du projet de loi 61 qui instaure un régime d’exception et de passe-droits inédits.

Tant les partis d’opposition que la plupart des participants à la commission parlementaire se sont dits d’accord avec les visées du projet de loi 61 : accélérer la réalisation des projets d’infrastructures publiques de façon à soutenir une économie mise à mal par la pandémie. Il faut comprendre qu’à chacune des étapes de la réalisation d’un projet d’infrastructures publiques, des délais bureaucratiques de traitement, d’analyse ou d’approbation sont inscrits statutairement dans les lois et les règlements, ce qui peut poser problème même en temps normal. La vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, qui comparaissait en commission parlementaire mercredi, soulignait qu’il était inacceptable, par exemple, qu’il s’écoule trois ou quatre ans avant que s’amorce la construction d’une école pourtant jugée nécessaire.

Le président du Conseil du trésor a multiplié les mea culpa. Il a notamment reconnu que l’article 50 du projet de loi ratissait beaucoup trop large, en permettant au gouvernement de modifier à sa guise les dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) ou d’en suspendre l’application. Cette loi, rappelons-le, a été adoptée pour donner suite aux recommandations de la Commission Charbonneau sur la corruption et la collusion. L’article 50 ne portera plus que sur l’obligation pour le gouvernement de payer avec célérité les entreprises pour les contrats d’infrastructures, une recommandation, d’ailleurs, de la commission.

Comme d’autres, la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, s’est opposée au prolongement de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à ce que le conseil des ministres décide d’y mettre fin, alors qu’il doit le renouveler tous les dix jours à l’heure actuelle. Christian Dubé semblait disposé à accepter sa recommandation en limitant à six mois sa durée.

La salve la plus dévastatrice est venue de la Commission de suivi des recommandations de la Commission Charbonneau. En se donnant le pouvoir de limiter l’application de la LCOP, le gouvernement Legault crée des conditions « extrêmement favorables » à l’émergence de la collusion et de la corruption, ainsi qu’à un gonflement des coûts des projets.

Le Bureau de l’inspecteur général de Montréal (BIG) a insisté sur le maintien des règles d’intégrité et la mise en place d’une surveillance accrue sous forme d’inspections ponctuelles et aléatoires, un pouvoir que détient le BIG, mais pas l’Autorité des marchés publics (AMP), l’instance québécoise.

Par la voix de Gaétan Barrette, le Parti libéral a réclamé que le projet de loi 61 accorde ce pouvoir à l’AMP. Christian Dubé veut attendre à l’automne pour déposer un projet de loi en ce sens. Or, il est essentiel que l’AMP puisse mener ces opérations dissuasives dès que se mettra en branle l’accélération des investissements, qui ne manqueront pas d’allécher le crime organisé, mais aussi d’encourager des entrepreneurs peu scrupuleux à profiter de la situation, comme l’a fait remarquer l’inspectrice générale du BIG, Brigitte Bishop. On ne peut que s’étonner que le gouvernement Legault n’ait pas prévu le coup.

Le président du Conseil du trésor devra aussi donner des assurances que l’accélération des projets ne constitue pas une licence pour détruire des milieux humides, comme le permet le projet de loi, et, s’il faut réduire les délais, cela ne peut se faire au détriment de la protection de l’environnement. De même, les exigences de reddition de compte sont nettement insuffisantes et s’avéreront inefficaces, comme l’a relevé la vérificatrice générale.

Enfin, le projet de loi 61, et c’est un de ses graves défauts, affaiblit grandement le contrôle parlementaire, pierre angulaire de notre régime démocratique. À défaut de présenter dès maintenant les règlements qu’il entend adopter, le gouvernement devrait avoir l’obligation de les déposer au fur et à mesure en commission parlementaire afin qu’ils soient dûment étudiés par les élus, comme le prévoit l’article 4 pour les projets qui ne sont pas compris dans la liste inscrite dans le projet de loi. L’arbitraire que se réserve le pouvoir exécutif doit s’accompagner de solides contrepoids.
 



Une version précédente de ce texte, qui mentionnait à deux reprises le projet de loi 21, a été modifiée.

 

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