Se regarder en face
Le débat québécois sur la discrimination et le racisme systémiques est encore englué dans le déni, la peur et l’incompréhension. Qu’est-ce que le Québec a à perdre en affrontant cette réalité qui n’échappe à aucune nation moderne ?
À la suite de l’assassinat abject de George Floyd, lynché par des policiers de Minneapolis, quelques chroniqueurs et acteurs politiques voilés dans le linceul du conservatisme identitaire ont repris leur litanie habituelle. Le Québec ne porte pas les germes de l’esclavagisme et de la ségrégation raciale, contrairement aux États-Unis. Les Québécois ne méritent pas un procès pour racisme, disent-ils à l’unisson. Bien oui, c’est vrai.
Par un glissement lourd de conséquences, ils en viennent à discréditer les affirmations de lutte contre la discrimination et le racisme systémiques. Et le premier ministre d’enchaîner : « Je crois qu’il y a de la discrimination au Québec. Mais il n’y a pas de discrimination systémique », a-t-il dit.
Il y a moins d’un an, la commission Viens est arrivée à la conclusion que les Premières Nations et les Inuits sont victimes de discrimination systémique au Québec, en dépit des efforts déployés et de la volonté de leur offrir l’égalité des chances. Le premier ministre Legault a présenté ses excuses aux peuples autochtones dans une déclaration solennelle, comme le suggérait le rapport Viens. Un geste digne, noble, qui ne revenait aucunement à une admission de racisme généralisé de la part des Québécois.
Il est vrai que, depuis la tentative ratée des libéraux de tenir une commission d’enquête sur la discrimination et le racisme systémiques, la classe politique avance en terrain miné sur ces questions. Pour reprendre le débat sur des bases saines, trois conditions préalables s’imposent. La première est de bien comprendre la définition du terme « racisme systémique ». Cela ne veut pas dire que le racisme est systématique, généralisé à l’ensemble de la population, résultat de structures de pouvoir et de domination fondées sur la blancheur suprémaciste. La seconde est de reconnaître que le problème existe et de le nommer pour les Noirs et les autres minorités racisées, comme nous l’avons fait pour les Premières Nations dans la foulée de la commission Viens. La troisième est de se doter du meilleur forum pour débattre de la question, sans procès d’intention, dans un souci d’atteindre l’objectif commun d’équité de traitement.
En octobre dernier, une étude indépendante commandée par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) indiquait que les personnes d’origine arabe, les Autochtones et les Noirs courent respectivement deux fois, quatre fois et cinq fois plus de risques d’être interpellés par la police que les Blancs. Même en prenant en considération l’activité criminelle, la disparité de traitement se maintient. Voilà des décennies que le « délit de faciès » s’est incrusté dans les interventions policières.
Une étude récente de Statistique Canada démontrait récemment qu’être noir est synonyme d’appauvrissement et de discrimination. En 2015, un homme noir gagnait 15 000 $ de moins que les autres hommes, alors que le taux de diplomation chez les Noirs est comparable au reste de la population. En 2016, une femme noire courait près de deux fois plus de risques d’être victime d’un traitement injuste ou de discrimination au travail. Il y avait 10,2 % de chômeurs chez les Noirs, alors que le taux de chômage oscillait entre 5,8 % et 6,7 % dans le reste de la population.
Des études, il y en a à la tonne pour accréditer l’existence du problème, ici comme ailleurs. Le racisme et la discrimination systémiques sont des barrières invisibles qui se maintiennent dans le temps, traversent les générations et ralentissent la progression socioéconomique des minorités racisées.
Le fait de l’affirmer ne fait pas de nous des racistes ou des traîtres à la nation. C’est plutôt l’expression d’une aspiration d’équité pour tous et le témoignage de notre maturité collective.