Opération ratée à l’école
Le Québec compte un peu plus d’un million d’élèves de la prématernelle à la cinquième secondaire. C’est presque autant de familles pour qui la traversée de la pandémie a plombé ou remis en question le lien de confiance avec l’école, tant la gestion de l’enseignement à distance s’est avérée un immense fiasco.
Depuis la mi-mars, les parents ont traversé toute la palette des relations avec l’école : absence totale de contact ou de directive, fouillis de travaux balancés en vrac par courriel, échanges et classes à distance sporadiques. Pour certains, la seule passerelle avec l’école s’est résumée à devoir aller chercher les effets de leurs enfants dans un sac-poubelle. Comme symbole navrant, on peut difficilement faire mieux.
Dans le lot, il y a évidemment des histoires fabuleuses d’enseignants présents et de communication efficace. Mais ces percées de lumière détonnent. Le sentiment général pointe plutôt vers l’opération complètement ratée. La récupération sera difficile.
Avec un tel bassin d’élèves, des centaines d’établissements et des milliers d’enseignants, on ne pouvait guère espérer des pistes de sortie de crise linéaires et homogènes. Le réseau de l’éducation en soi appelle l’hétérogénéité et la géométrie variable, de par ses centaines d’établissements, ses milliers d’enseignants, et aussi les différences marquant divers milieux. On ne demandait pas la lune. Mais un seuil minimal était attendu, un peu de réactivité pour éviter que dans le vide ne s’installent la méfiance et le désaveu.
Ailleurs dans le monde, des nations n’ont eu besoin que de quelques jours avant de dévoiler des stratégies ficelées d’enseignement à distance. La France, par exemple. Plus près de nous, l’Ontario a réussi à annoncer un plan de télé-enseignement deux semaines à peine après les premiers temps du confinement. Surtout, le matériel technologique nécessaire pour que les classes à distance prennent vie a été distribué dans des délais raisonnables et en quantités suffisantes.
Au Québec, après le cafouillage des débuts où confinement fut synonyme de « vacances » dans la bouche même du ministre de l’Éducation, les tentatives de récupération subséquentes n’ont pas été porteuses : valse-hésitation syndicale, tablettes même pas encore acheminées dix semaines après la fin des classes, demandes ministérielles confuses — évaluation ? Travaux obligatoires ou facultatifs ? Cours de rattrapage en fin d’été ? Certains parents le déplorent sans ambages : ils ont l’impression d’avoir été largués. Des élèves démotivés reprendront avec grand mal la cadence scolaire.
Cette réaction du milieu scolaire face à la gestion de changement que commandait la pandémie est révélatrice de quelques grandes fractures. La relation entre le ministère et les syndicats d’enseignants — appelés à négocier dès les premiers jours de la pandémie — ne présente pas son côté le plus harmonieux. De notre siège de citoyens spectateurs, nulle apparence de collaboration patronale syndicale alors que le contexte appelait urgemment ce rapprochement. La semaine dernière, alors que le ministre Jean-François Roberge tentait tant bien que mal de prévoir des mesures d’atténuation en fin d’été pour faire un certain rattrapage du retard scolaire cumulé, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) s’est montrée ouverte à l’idée tandis que la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) rechignait à sabrer dans les vacances des familles… Ce revers n’est pas passé inaperçu.
Propulsés en pleine pandémie tout juste après une refonte des structures, les commissions scolaires — devenus centres de services — ont semblé des acteurs effacés, ainsi hélas que les directions d’école, en apparence totalement à la merci des directives émanant du bateau amiral. Dans la vaste majorité des écoles du Québec, ces lignes directrices à propos de l’enseignement à distance sont tombées le 20 mai seulement. On ne peut pas blâmer les parents de nager en pleine stupeur et incompréhension. Chez beaucoup, ces sentiments côtoient désormais la colère.
Une superbe ironie coiffe ce que d’aucuns associent au chaos ou à la confusion : le fait que ceci survienne juste après que s’est mise en branle la réforme de la Coalition avenir Québec visant à redonner les pouvoirs décisionnels aux directions d’école et aux parents, le contraire de ce qu’on a vu récemment. La loi 40 affichait cet objectif clair, bien que beaucoup aient plutôt décodé dans les articles de la loi une volonté inquiétante de centralisation. Si le ministère de l’Éducation est le grand manitou derrière le casse-tête des dernières semaines, alors le bilan est des plus inquiétants. Certains constats seront aussi nécessaires que douloureux.