​Sinueux déconfinement: la logique évolutive

On savait que l’opération déconfinement ne serait pas chose facile. Le confinement se décrète, et ses directives sont cohérentes avec les objectifs visés. Mais après avoir convaincu les Québécois des dangers mortels du coronavirus, il s’avère difficile d’expliquer qu’il faut maintenant courir un certain risque parce qu’on ne peut rester séquestré le temps qu’un vaccin soit découvert, si tant est qu’il le soit dans un avenir prévisible.

Difficile mais pas impossible. À moins de se mêler dans ses « lignes de comm », de dire une chose le lundi et le contraire le mercredi. On savait que le déconfinement représentait pour le gouvernement Legault un formidable défi de communication, encore ne faut-il pas le rendre encore plus exigeant en brouillant soi-même le message, « en s’autopeluredebananisant », comme disait Parizeau.

Ainsi, François Legault demandait lundi aux enseignants de plus de 60 ans de ne pas se présenter à l’école pour la réouverture. Cela valait aussi pour les éducatrices dans les services de garde. Mercredi, sans fournir d’explications, la vice-première ministre, Geneviève Guilbault annonçait que les gens de moins de 70 ans pouvaient retourner travailler « sans risque important pour leur santé ».

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que le gouvernement change de discours sur les 60-69 ans. Au début du confinement, le Dr Horacio Arruda expliquait que, s’ils ne souffraient pas de maladies chroniques, ils ne couraient pas beaucoup plus de risques que les adultes des autres tranches d’âge. C’est à voir.

Autre revirement rapide : après avoir édicté que les grands-parents de moins de 70 ans ne devaient pas garder leurs petits-enfants pour permettre aux parents de retourner au travail, le Dr Arruda changeait jeudi son fusil d’épaule. Il soutenait pourtant la veille que dans les garderies, les éducatrices de 60 ans et plus pouvaient, elles, s’occuper des enfants grâce à des procédures de protection auxquelles les grands-parents à la maison seraient incapables de se conformer.

« Ce n’est pas une science exacte », a avancé François Legault, mais une question d’équilibre entre le risque pour la santé et la possibilité de vivre une vie un tant soit peu normale. La position est appelée à évoluer. Ce qui était interdit hier ne le serait peut-être pas demain. Les explications, aussi, peuvent évoluer, doit-on comprendre.

N’empêche que les directions d’écoles ont tenu compte, dans leurs plans de réouverture, de l’absence des enseignants de 60 et plus. Pour les services de garde, une directive toute fraîche du ministère de la Famille demandait aux éducatrices de 60 ans et plus de rester chez elles.

La nécessité est mère de l’invention, dit-on. Il semble bien qu’à leur réouverture, les écoles devront accueillir davantage d’élèves que prévu. Déjà, le retour escompté de 50 % des élèves, dans des classes moins nombreuses, exigeait que les directions d’écoles fassent des prouesses. Des ratios plus faibles ne signifient pas que les écoles auront besoin de moins de personnel. Or, selon le chiffre qui circule, ce sont environ 60 % des enfants qui se présenteront pour reprendre la classe et que les écoles ont l’obligation d’accueillir.

Pour les services de garde, la situation s’annonce chaotique. Dans un premier temps, ce ne seront que 30 % de bambins qui y retrouveront leur place. Selon certaines évaluations, près de 4000 services de garde en milieu familial ne comptaient pas rouvrir en raison de l’âge de la responsable ou de ses problèmes de santé. Des employés du réseau de la santé ou d’autres services essentiels, dont les enfants avaient accès le temps du confinement à de garderies temporaires, ont perdu leur service de garde d’origine. Contrairement aux écoles, les services de garde peuvent refuser des enfants. La demande des parents est forte et des centaines de milliers d’enfants devront rester à la maison.

C’est pourquoi, dans les circonstances, le gouvernement Legault a choisi de permettre aux grands-parents de braver les risques pour garder leurs petits-enfants. La nécessité est mère de l’invention d’un nouveau discours.

La réouverture des écoles et des services de garde ne se fera pas sans anicroche et sans une bonne dose d’improvisation. Il est de même pour le reste d’un déconfinement graduel aux multiples inconnues. Le gouvernement Legault, qui est en train de l’inventer, doit pourtant l’expliquer, sans faux-fuyants et sans dégager cette désagréable impression qu’il nous prend pour des valises. Mais on lui sait gré de ne pas forcer le déconfinement trop hâtif de la grande région de Montréal, dont la date est repoussée au 25 mai au mieux, en conformité avec les seuls impératifs de la santé publique.

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