Immense retard, petit rattrapage

Les jours de budget sont rarement propices aux célébrations dans le champ pourtant si crucial des mesures sociales. Cette année faste où le ministre Eric Girard a réussi le tour de force de plaire à peu près à tout le monde — le bonheur étant à géométrie variable selon qui en fait l’expérience —, les services sociaux ont donc eu droit à une portion de l’assiette. Joie !

Les millions dévolus aux jeunes en difficulté, au dépistage des problèmes psychosociaux, aux parents d’enfants handicapés, au soutien des femmes victimes de violence conjugale, toutes ces sommes forgent une façade de réjouissances. Il faut saluer cet effort, bien entendu, car il y a belle lurette que la vulnérabilité des citoyens a été un domaine phare du plan de match budgétaire d’un gouvernement — ironie du sort, c’est de la CAQ que provient ce soubresaut social espéré de budget en budget.

Disons que le contexte était favorable, c’est le moins qu’on puisse dire. D’abord, une mare de surplus dans laquelle se vautrer. Ensuite, un budget concocté alors que le Québec a les yeux tournés vers deux feuilletons sociaux faisant des vagues : une commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse et une consultation auprès des victimes de violence conjugale et d’agressions sexuelles, toutes deux lancées par la CAQ. Il eût été inconséquent et incohérent pour ce gouvernement pragmatique de ne pas avoir prévu quelques réserves financières pour accorder le geste à la parole.

Les dernières semaines ont permis, à coups de reportages percutants, de montrer l’ampleur des besoins en matière de protection de la jeunesse et de soutien aux victimes de violence conjugale. Les mesures annoncées mardi ne permettront de soulager qu’une portion infime des problèmes rencontrés dans ces structures sous-financées — et ne régleront pas le problème de leadership. Pour désengorger les listes d’attente honteusement chargées des directions de la protection de la jeunesse, 450 millions sur cinq ans sont expédiés aux DPJ. Mais le rapport préliminaire de la commission menée par Régine Laurent avait aussi pointé de manière pressante tous les services de première ligne — organismes communautaires, aide aux familles, soins destinés aux jeunes mères, soutien aux enfants à risque. Des secteurs négligés et abandonnés au fil des ans qui ont littéralement fait bondir le nombre de signalements acheminés à la DPJ. Pour ceux-là, la réponse est insuffisante.

Du côté des ressources d’hébergement destinées aux femmes victimes de violence, la situation était devenue « critique » tant la demande étouffe l’offre. L’an dernier, faute de ressources, 15 000 femmes ont été refoulées aux portes des 36 maisons de la Fédération des maisons d’hébergement. L’année précédente, 9800 avaient subi le même sort. Les 24 millions par année promis ne comblent pas les besoins des maisons actuelles, alors qu’il faudrait penser à en ajouter de nouvelles. Mais une voie est désormais tracée, sur laquelle le rattrapage joliment amorcé par la CAQ pourra se poursuivre. Tous les espoirs sont permis.

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