Les moyens de ses ambitions caquistes (et plus encore)
Les coffres de l’État sont à ce point garnis que le ministre des Finances, Eric Girard, a pu présenter un budget résolument expansionniste, réservant sur une période de cinq ans 6 milliards pour l’environnement, plus d’un milliard pour les jeunes en difficulté et autres personnes vulnérables et près d’un demi-milliard pour la culture.
Pour les priorités que sont la santé et l’éducation, le deuxième budget Girard prévoit des augmentations — de 5,3 % et de 4,5 % respectivement — qui dépassent légèrement la croissance normale des coûts. D’ailleurs, on voudrait dépenser davantage que ce serait difficile compte tenu de la difficulté de recruter du personnel dans les deux réseaux.
Pour l’année qui se termine le 31 mars, les coffres débordent littéralement. Fait rarissime, le président du Conseil du trésor doit ainsi présenter un projet de loi pour voter des crédits budgétaires supplémentaires de 2,1 milliards. Déjà, lors de la mise à jour économique et financière en novembre, le ministre des Finances, Eric Girard, avait annoncé des dépenses supplémentaires de l’ordre de 857 millions. Dans le budget présenté mardi, il en rajoute pour près de 1 milliard, tout en absorbant la perte de 600 millions subie dans le placement dans la CSeries. On s’est empressé d’engager des dépenses de dernière minute : 150 millions de plus sur la gueule du client à la Ville de Montréal, 50 millions de plus aux cégeps pour les centres de transfert en technologie et 81 millions de plus pour la recherche clinique. On réserve aussi 45 millions à la stratégie de croissance de l’industrie du tourisme, une somme qui, comme les autres, ne sera pas dépensée en trois semaines. Du moins on l’espère.
Malgré ces dépenses, le surplus de 1,4 milliard, prévu en novembre, atteindra plutôt 1,9 milliard, après la perte du versement de 2,6 milliards au Fonds des générations. Ces chiffres donnent toute la mesure de l’étendue des vallées verdoyantes que foule le gouvernement caquiste.
En 2019, l’économie du Québec a connu quelque chose d’exceptionnel. Le niveau de vie des Québécois s’est accru de 1,6 % dans cette seule année, tandis que celui des Ontariens faisait du surplace. Ce sont les gains de productivité qui expliquent cette performance. Comme quoi la rareté de la main-d’oeuvre n’a pas que des effets négatifs, malgré les lamentations du patronat.
Pour aider les entreprises à faire face à la rareté de main-d’oeuvre, le gouvernement Legault mise sur la technologie avec un crédit d’impôt pour l’acquisition de matériel informatique et d’équipements automatisés. Tant le patronat que les syndicats ont relevé que le budget ne contient rien pour soutenir la formation de la main-d’oeuvre et l’embauche de travailleurs âgés, bien que l’an dernier de telles mesures récurrentes aient été mises en place.
Malgré ses chiffres ronflants, le plan environnemental du gouvernement, dont les détails seront rendus publics ce printemps par le ministre Benoit Charette, nous laisse sur notre faim. Certes, il prévoit la construction de lignes de tramway ou autres modes de transport collectif structurants, à Longueuil, Laval, Gatineau et Montréal, en plus du tramway à Québec. Il reconduit les subventions pour l’achat de véhicules personnels électriques. Mais ces mesures, et les autres qui touchent notamment les bâtiments et les industries, de l’aveu même du ministère des Finances, ne seront pas suffisantes pour garantir l’atteinte, en 2030, des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le renouvellement de la flotte automobile, même si tous les consommateurs achetaient des véhicules électriques, s’étalera sur plusieurs années, tout comme le déploiement du transport collectif. Le gouvernement rejette toutes mesures coercitives, à l’exception d’exigences imposées aux constructeurs pour qu’ils rendent disponibles leurs modèles électriques. Les documents budgétaires révèlent que ce plan environnemental ne parviendra à réduire que de 7 % les importations de pétrole en 2030. C’est nettement insuffisant : il faudra donc qu’il soit associé à d’autres initiatives.
Les esprits chagrins — à l’instar de l’ancien ministre libéral des Finances, Carlos Leitão — soulignent que les prévisions économiques d’Eric Girard ne tiennent pas compte de la crise du coronavirus. Le ministre caquiste croit que le ralentissement de l’économie mondiale n’affectera que très légèrement les finances publiques québécoises. Et même si cette crise entraînait une récession, le gouvernement, doté d’une réserve de stabilisation s’élevant à 14 milliards, pourrait faire face à la musique en empruntant à des taux extrêmement bas. On verra si ce budget s’avérera « celui de la confiance en l’avenir », comme le soutient avec optimisme le ministre des Finances.
Une version précédente de ce texte parlait d’un déficit de 1,4 milliard, alors qu’il s’agit bien d’un surplus. Nos excuses.