À la recherche des braves
Les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en ont prouvé leur point et attiré l’attention de tout le Canada sur leurs revendications. Le trafic ferroviaire est paralysé et des pans entiers de l’activité économique sont perturbés. Un front commun des provinces fait pression sur un Justin Trudeau désemparé pour qu’il soit à la hauteur de ses ambitions de réconciliateur et qu’il assume les responsabilités dévolues au fédéral en matière d’affaires autochtones. La GRC est même disposée à quitter le territoire des Wet’suwet’en, au nord de la Colombie-Britannique, comme l’exigent les chefs héréditaires.
L’ensemble du portrait est largement favorable à la nation wet’suwet’en. Les chefs héréditaires devraient accepter la main tendue du premier ministre Trudeau et s’engager dans une négociation de bonne foi, sans laquelle la réconciliation entre le Canada et les peuples autochtones demeurera un vœu pieux. Or, c’est tout le contraire. Les chefs demandent aussi l’abandon complet du développement du pipeline de Coastal GasLink sur leur territoire comme condition préalable aux pourparlers. Ils ne revendiquent pas tant une négociation qu’une abdication complète d’Ottawa et de la Colombie-Britannique par rapport à leurs demandes. C’est une façon comme une autre de négocier, mais en forçant la main de leur vis-à-vis, les chefs héréditaires risquent de s’aliéner l’appui de la population et même celui de leurs pairs.
Ces chefs investis de la mission de défendre et protéger le territoire ancestral ne font pas l’unanimité, même auprès de leur propre communauté. Une sous-cheffe héréditaire influente, Rita George, a manifesté son opposition au blocus ferroviaire dans un entretien au Globe and Mail. Le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a demandé la levée des barricades et la reprise du dialogue. Plus d’une vingtaine de communautés autochtones en Colombie-Britannique se déclarent satisfaites du projet de pipeline, dans un esprit de conjuguer la protection du territoire et la participation au développement économique, deux éléments essentiels pour que la condition autochtone s’affranchisse de son statut de tiers-monde intérieur.
Les révolutionnaires du dimanche qui étaient, vendredi soir, en train de démonter leur campement à Saint-Lambert devraient s’interroger sur le sens de leur action. Dans leur appui à la cause des chefs héréditaires, ils s’opposent à la volonté des conseils de bande disposant de mandats représentatifs. Bien sûr, la nation wet’suwet’en contrôlait son territoire avant même que la Colombie-Britannique adhère à la Confédération et que la Loi sur les Indiens entre en vigueur. La Cour suprême a même reconnu que certaines parties du territoire non cédé relèvent des chefs héréditaires. Le partage des pouvoirs et des responsabilités entre ces chefs héréditaires et les chefs des conseils de bande, l’équilibre entre tradition et modernité, sont des questions d’une grande complexité qui ne seront pas réglées à la hauteur du rail, mais devant des forums de discussion et les tribunaux supérieurs.
Vu de Saint-Lambert, le blocus ressemble davantage à un stage pratique universitaire en intersectionnalité, ou encore une appropriation des revendications autochtones à des fins de lutte contre les changements climatiques. Le chef de la nation huronne-wendate, Konrad Sioui, a d’ailleurs dénoncé à Qub la présence sur les barricades « d’activistes de tout acabit » qui ne sont pas représentatifs des Premières Nations. Il est difficile d’imaginer que ces actions, par lesquelles le transport des marchandises et des personnes est pris en otage, contribueront à la réconciliation nationale et à la lente, laborieuse et légitime marche des Premières Nations pour affirmer leur droit à l’autodétermination.
Ceci nous amène à Justin Trudeau et à son absence de vision stratégique pour jeter les bases de cette négociation de nation à nation à laquelle aspirent les peuples autochtones. M. Trudeau a suscité de grands espoirs, dans son premier mandat, en affirmant sa volonté de réconciliation avec les peuples autochtones. S’il est jugé aussi sévèrement pour sa gestion de la crise actuelle, c’est sans doute parce que son incapacité de passer de la parole aux actions suscite des frustrations croissantes. Il est inadmissible qu’il ait rejeté la responsabilité de résoudre le blocus aux provinces aux premières heures de la crise. Incompréhensible que les premiers ministres des provinces furent obligés de solliciter un entretien d’urgence avec lui, alors que cette initiative aurait dû venir de lui.
Il faut au moins deux parties pour négocier, et les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en ne semblent pas prêts à le faire pour le moment. Non seulement le gouvernement fédéral n’a pas d’interlocuteur volontaire dans cette affaire, mais il fait également face à une constellation de groupes aux revendications hétérogènes. Quel est le plan de M. Trudeau pour asseoir les Wet’suwet’en à la table ? Le chef du Bloc québécois a proposé de suspendre la construction de Coastal GasLink en échange d’une levée du blocus et la tenue de négociations. Le chef Sioui suggère la médiation par une tierce partie.
Il y a des braves aux belles idées pour sortir de la crise. M. Trudeau, en panne d’inspiration, gagnerait à les écouter.