Aide aux entreprises: qui doit prendre le risque?
Bombardier, Stornoway, Nemaska Lithium, cimenterie McInnis… voilà quelques cas récents de sociétés privées dans lesquelles Québec a investi sous forme de prêts, mais aussi de participation au capital, sans y trouver son compte. Des projets qui n’auraient pas vu le jour ou qui seraient morts rapidement sans cette implication directe de l’État.
Ce n’est pourtant pas le capital de risque qui manque au Québec. Au contraire, il y a énormément de capitaux disponibles provenant de fonds privés pressés de récupérer leur mise avec profits, ou de caisses de retraite et de fonds de travailleurs patients. Alors, pourquoi le gouvernement Legault tient-il tant à doubler la taille d’Investissement Québec en y injectant un milliard en capital de risque supplémentaire ?
Pour créer des emplois bien payés et réduire l’écart avec l’Ontario, « il faut prendre plus de risques », soutient M. Legault. C’est faux, archifaux. Le Québec dépense déjà chaque année 2 ou 3 milliards en crédits d’impôt, prêts à intérêts réduits et aussi en capital de risque.
Plusieurs études plus ou moins récentes (une faille à combler) ont démontré que le Québec dépense proportionnellement beaucoup plus que l’Ontario pour soutenir ses entreprises. L’emploi se porte mieux que jamais au Québec, mais c’est encore plus vrai en Ontario, où il s’est créé 210 200 postes l’an dernier, contre 77 700 chez nous, soit presque trois fois plus, sans une aide gouvernementale aussi importante.
L’économie ontarienne est non seulement plus grande en taille, mais elle est aussi plus productive, de sorte que les salaires sont meilleurs et augmentent davantage.
M. Legault le sait, et c’est pour cette raison qu’il réforme Investissement Québec, dit-il. Mais comme dans bien des projets de ce gouvernement, la recette rapidement mise en place sent l’improvisation et même le réchauffé. En effet, cette idée d’investir directement dans le capital des entreprises ne découle d’aucune étude sérieuse, elle n’est pas nouvelle et n’a jamais conduit à des résultats positifs à grande échelle, sauf dans certains secteurs stratégiques comme l’aéronautique… et encore.
Rappelons-nous la Gaspésia et Magnola, deux grands projets qui n’auraient pas vu le jour sans les investissements de la Société générale de financement et qui sont morts rapidement après avoir accumulé des pertes de plusieurs centaines de millions chacun. N’est-ce pas ce qui est en train de se reproduire à la mine de diamants Stornoway et à Nemaska Lithium ?
Les économistes le répètent : pour l’heure, le plus grand problème de l’économie québécoise, c’est celui du manque d’investissements des PME pour améliorer leur productivité.
Dans une étude récente du Centre sur la productivité et la prospérité (HEC), les chercheurs Deslauriers, Gagné et Paré en arrivent à la conclusion que l’écart se creuse entre le Québec et les autres nations développées parce que nos entreprises se fient trop à la faible valeur du dollar canadien pour exporter et n’investissent pas suffisamment dans les nouvelles technologies malgré des crédits d’impôt généraux, mais peu efficaces.
On comprend les associations d’affaires d’applaudir chaque fois que Québec annonce des réformes accompagnées d’argent frais puisqu’il se trouvera toujours quelqu’un pour en profiter. Que l’on juge intéressante l’idée de transformer Investissement Québec en guichet unique, fort bien. Que l’on fasse du démarchage à l’étranger, tant mieux. Mais qu’on offre des dizaines de millions en capitaux pour attirer chez nous une société qui se propose de faire voler des dirigeables imaginés sur Photoshop, est-ce le genre de risque à prendre pour améliorer notre compétitivité ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.