L’industrie forestière a le dernier mot
Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), Pierre Dufour, a aboli la protection administrative dont jouissaient trois massifs au Saguenay–Lac-Saint-Jean pour favoriser la survie des caribous forestiers, une espèce menacée. C’est quelque 46 000 hectares de forêt qui seront livrés à l’industrie afin qu’elle procède à une coupe intensive.
Le MFFP a justifié sa décision en indiquant que le système de suivi — on se sert de colliers télémétriques pour localiser les cervidés — n’avait pas montré la présence de caribous dans ces secteurs. Or des scientifiques doutent des constats du ministère, d’autant plus que ce ne sont qu’une minorité des caribous qui sont munis de tels colliers et que ces bêtes se déplacent d’année en année. Le MFFP n’a pas fait la démonstration, qui s’appuierait sur une solide méthodologie scientifique, que les caribous ne fréquentent pas ces massifs ou qu’ils ne le feraient pas dans un avenir prochain si ces milieux propices à leur survie n’étaient pas détruits.
La vraie justification, c’est que l’industrie a fait pression pour faire main basse sur ces forêts inexploitées et que le gouvernement caquiste, au nom de « la vitalité économique du Québec et de ses régions », a répondu favorablement à cette exigence. En campagne électorale en 2014, le chef libéral Philippe Couillard avait déclaré qu’il « ne sacrifiera[it] pas une job dans la forêt pour les caribous forestiers ». Le gouvernement Legault agit dans le même esprit.
Il y a près de 20 ans, le gouvernement fédéral a placé le caribou forestier sous la protection de la Loi sur les espèces en péril. Mais comme le cervidé se retrouve essentiellement sur des terres publiques au Québec, c’est à l’État québécois que revient la responsabilité de protéger l’espèce. En 2017, Environnement Canada avait conclu que le Québec, à l’instar des autres provinces, avait failli à sa responsabilité de protéger le caribou forestier.
Le gouvernement Couillard avait planché sur un plan de rétablissement de l’espèce. On visait à faire passer la population actuelle — entre 6000 et 8500 têtes, selon les évaluations — à 11 000 individus. Ce plan, qui devait conduire à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble, n’avait jamais été approuvé par le Conseil des ministres.
En avril 2019, le gouvernement Legault, par la voix de son ministre Pierre Dufour, a annoncé que l’élaboration de la stratégie était reportée en 2022 et sa mise en oeuvre, en 2023. Les consultations entourant cette stratégie impliqueront essentiellement l’industrie forestière et les communautés autochtones. Le ministre n’a pas fourni les raisons qui expliqueraient ce report.
La décision de livrer les trois massifs à la coupe à blanc est donc prématurée. En l’absence de plan, on ne peut évaluer l’importance ou non de préserver ces forêts et comment elles pourraient compléter les aires protégées de plus grande ampleur dans le Nord québécois.
Le caribou forestier est une espèce particulièrement sensible aux perturbations causées par l’exploitation industrielle du territoire. Les chemins forestiers, par exemple, qui demeurent après le passage des abatteuses, constituent une menace à la survie de l’espèce parce qu’ils facilitent le déplacement des prédateurs, notamment le loup. Comme le rapportait La Presse la semaine dernière, dans Charlevoix, on abat davantage de loups dans le but de ralentir le déclin des populations de caribous. Or l’abattage des prédateurs est pratiqué en Gaspésie depuis des décennies sans que l’espèce cesse de péricliter. Pour les experts, la vraie solution consiste à conserver intactes des vieilles forêts, ces milieux propices à la vie du caribou, et à diminuer les perturbations dont est responsable l’industrie forestière.
Le problème, c’est que le MFFP poursuit des missions contradictoires, celle de favoriser l’industrie forestière et celle de préserver la biodiversité. Alors que le ministre Dufour évoque sa « volonté de trouver un juste équilibre », c’est l’industrie qui a le gros bout du bâton. Arbitraire, la dernière décision du ministre, qui devra nous dire qu’il n’est pas le simple pion de l’industrie, illustre une autre fois quels intérêts défend le ministère. Et comme nous l’avons déjà écrit, les caribous ne votent pas, contrairement aux travailleurs forestiers.
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