Québec doit revoir son approche

Le dernier rapport de l’ONU publié en prévision de la rencontre des pays signataires de l’Accord de Paris qui se tiendra la semaine prochaine à Madrid est aussi catégorique que les précédents : si rien de plus n’est fait rapidement, le réchauffement de la planète atteindra 3,8 degrés d’ici la fin du siècle. Le seul moyen de limiter la hausse à 1,5 degré comme cela a été entendu en 2015 à Paris est de réduire les émissions de CO2 de 7,6 % par année en moyenne d’ici 2030 alors qu’elles ont plutôt augmenté de 1,5 % par année depuis 10 ans.

Il va sans dire que la présence de Donald Trump et d’une majorité républicaine à la tête de la première puissance mondiale complique les choses, y compris chez nous, où les gouvernements provinciaux conservateurs s’en inspirent pour exiger l’abolition de toute forme de taxation du carbone.

Dans un rapport rendu public cette semaine, la Commission de l’écofiscalité du Canada, un organisme formé d’économistes de renom, arrive à la conclusion que les taxes sur le carbone (ou leur équivalent au Québec) constituent le moyen le plus efficace d’atteindre la cible canadienne de réduction de 30 % des émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à 2005.

L’avantage de la taxation sur la réglementation et les subventions est de laisser les entreprises et les consommateurs trouver eux-mêmes les solutions innovatrices qui leur conviennent le mieux.

Après analyse, le groupe conclut cependant que le projet du gouvernement Trudeau de faire passer la taxe de 20 $ la tonne aujourd’hui à un maximum de 50 $ la tonne en 2022 ne permettra pas d’atteindre la cible.

En juin dernier, le Directeur parlementaire du budget (DPB) à Ottawa était arrivé à la même conclusion, mais il évaluait qu’un prix de 102 $ la tonne suffirait. Or, pour les experts de la Commission de l’écofiscalité, il faut plutôt viser 210 $ la tonne d’ici 2030 ! En termes concrets, cela exigerait une hausse du prix des carburants de 40 ¢ le litre d’ici 2030 comparativement à 23 ¢ selon le DPB et à 11,5 ¢ selon le gouvernement Trudeau.

En campagne électorale, les libéraux ont répété qu’il ne serait pas nécessaire d’aller au-delà de 50 $ la tonne à cause des autres mesures, comme la plantation d’arbres et les investissements dans le transport collectif. Tout le monde sait pourtant que le litre d’essence à 1,35 $ au lieu de 1,25 $ n’amènera personne à changer ses habitudes.

Il va sans dire que, même échelonnée sur dix ans, l’annonce d’une augmentation de 40 ¢ du litre de carburant excitera les opposants à toute forme de taxation du carbone. C’est pourquoi la plupart des experts recommandent de retourner la plus grande partie des recettes sous forme de baisse d’impôt sur le revenu pour n’en consacrer qu’une fraction à des mesures de transition énergétique (transport collectif, subventions, etc.).

Ils ont raison. La subvention québécoise à l’achat d’une voiture électrique, par exemple, permet de réduire les émissions de CO2 à un coût de 400 $ la tonne, soit 20 fois plus cher pour les contribuables que la taxe sur le carbone.

À l’instar des pays européens, le Canada et le Québec doivent prendre les bouchées doubles. Cela exigera du gouvernement Trudeau qu’il mette ses culottes et de celui du Québec qu’il limite la proportion des sommes recueillies qu’il entend consacrer à choisir lui-même les projets de transition énergétique. Après tout, l’objectif de cette taxe est d’amener les gens à changer leurs habitudes et non de subventionner n’importe quel projet qui atterrit sur le bureau du premier ministre, comme la construction d’un tunnel à Québec et d’une usine de liquéfaction de gaz au Saguenay.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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