Difficile équilibre
La formation du nouveau cabinet est le reflet des tensions au sein de la fédération canadienne. La nomination de Chrystia Freeland au poste de vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales atteste de l’importance, toute nouvelle, que le gouvernement minoritaire fragile de Justin Trudeau accorde à ses relations avec les provinces.
M. Trudeau s’est privé d’une ministre des Affaires étrangères hors pair en mutant Mme Freeland aux enjeux intérieurs, mais ceux-ci ont pris une place qu’il ne pouvait plus ignorer au lendemain du scrutin. La survie de son gouvernement en dépend.
Les libéraux ont été rayés de la carte en Alberta et en Saskatchewan. De Victoria à Winnipeg, ils disposent de 15 sièges contre 71 pour les conservateurs. Il y a une véritable ligne de fracture entre les provinces de l’Ouest et le gouvernement Trudeau pour cause de différend profond sur l’exploitation pétrolière et l’urgence de lutter contre les changements climatiques.
Mme Freeland trouvera peut-être les négociations avec les provinces de l’Ouest plus ardues que celles menées avec le gouvernement Trump pour sauver l’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Le mouvement de « Wexit », même s’il demeure embryonnaire et superficiel, témoigne d’un ras-le-bol préoccupant pour les libéraux si soucieux de préserver autant l’unité nationale que leur vision centralisatrice du fédéralisme.
Il faudra juger le nouveau cabinet par ses actions et non par les états de service de ses principales têtes d’affiche. Le rejet des libéraux dans l’Ouest et la résurgence du Bloc au Québec posent des défis similaires, même si un océan de pétrole de schiste sépare les deux provinces, qui ont soif d’un fédéralisme asymétrique. S’ils souhaitent éviter une débâcle hâtive, les libéraux devront se découvrir une passion nouvelle pour l’autonomie des provinces. Ce ne sera pas une mince affaire. D’une part, l’autonomie n’a jamais été la tasse de thé des libéraux fédéraux. D’autre part, l’autonomie n’exigera pas les mêmes concessions pour l’Alberta que pour le Québec, tiens.
L’Alberta de même que la Saskatchewan s’opposent à la taxe sur le carbone, elles revendiquent l’expansion des pipelines, elles attaquent la loi sur l’évaluation environnementale et elles gémissent encore et toujours contre la péréquation. Autant de contentieux qui passeront plutôt mal au sein de la population québécoise.
Dans une stratégie visant à forcer la main du fédéral et à contenir la grogne, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a confié à un groupe de travail la mission d’évaluer, pour la province, la pertinence de fonder une agence du revenu, une police provinciale, un régime de pensions, de demander une voix sur la scène internationale pour l’Alberta et même un droit de retrait des programmes fédéraux avec pleine compensation. Quelle bonne idée, sans blague.
Le gouvernement Legault et son nouvel allié bloquiste ont tout intérêt à se montrer combatifs afin qu’Ottawa respecte les champs de compétence du Québec et accède à ses demandes particulières. Celles-ci seront certainement contraires à celles des provinces de l’Ouest, notamment en matière de protection de l’environnement. Le caucus libéral québécois devra porter ce message et rappeler à la vice-première ministre et au premier ministre la nécessité de traiter le Québec avec équité, dans le respect de sa singularité. Ce difficile équilibre relève presque de l’impossible, mais il est essentiel à la sérénité des débats futurs au Québec et au Canada.