Est-Ouest: concilier l’inconciliable

En réaction aux résultats électoraux de lundi, les premiers ministres de l’Alberta et de la Saskatchewan, Jason Kenney et Scott Moe, ont clairement exprimé leur déception, ce qui ne les a pas empêchés d’exiger du gouvernement de Justin Trudeau qu’il s’engage à construire « des » pipelines et à abolir la taxe sur le carbone.

On comprend la frustration de ces premiers ministres qui ont fait campagne pour l’élection d’un gouvernement conservateur. Mais ils feraient mieux de suivre l’exemple de leur homologue du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, qui a choisi de créer son propre système de tarification du carbone au lieu de contester la taxe fédérale devant les tribunaux, comme le rapporte Le Devoir.

Si les résultats de lundi ne laissent pas la liberté au Parti libéral de faire ce qu’il veut, il y a au moins un point sur lequel ils lui donnent raison : les Canadiens tiennent à participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et cela passe par l’imposition de mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et si Justin Trudeau a perdu des appuis dans toutes les régions du Canada, c’est, entre autres raisons, parce qu’il a voulu plaire à tous en imposant à la fois une taxe sur le carbone et l’achat de l’oléoduc Trans Mountain pour en doubler la capacité.

En conséquence, les pires décisions que pourrait prendre le premier ministre au lendemain des élections seraient d’annuler la taxe sur le carbone tout en promettant d’appuyer de nouveaux projets de construction de pipelines, dont celui d’Énergie Est, comme le lui demandent les premiers ministres de l’Ouest.

Cela dit, il faut reconnaître que M. Trudeau ne peut pas, non plus, revenir en arrière et renoncer à Trans Mountain. Les votes qu’il avait à perdre, il les a perdus et il doit maintenant prouver aux Albertains qu’il n’a pas acheté ce pipeline pour le fermer. De toute façon, même en condamnant tous les puits de pétrole de l’Ouest du jour au lendemain, on ne diminuerait à peu près pas la consommation des Canadiens, qui continueraient de s’approvisionner à l’étranger.

Ce que le Canada peut faire de mieux dans le contexte actuel, c’est d’abaisser rapidement les plafonds imposés aux grands émetteurs et d’éliminer les subventions à l’exploitation. Du même souffle, il faut accélérer l’entrée en vigueur des hausses de taxes sur le carbone, qui constituent le moyen le plus efficace pour forcer les Canadiens à changer leurs habitudes et à faire chuter leur consommation d’hydrocarbures.

Ceux qui accusent les libéraux, les néodémocrates ou les bloquistes d’être responsables de la division opposant l’est et l’ouest du pays font fausse route. Cette division est d’abord et avant tout le fait des positions d’arrière-garde soutenues par les conservateurs fédéraux et leurs homologues provinciaux dans un monde en profonde mutation.

D’ores et déjà, l’Alberta et la Saskatchewan peuvent difficilement compter sur l’exploitation pétrolière pour assurer leur prospérité. L’une et l’autre doivent dès aujourd’hui travailler à l’avènement d’une économie du XXIe siècle.

Cette démarche aurait été rendue plus facile grâce aux milliards de dollars tirés des redevances pétrolières qui ont servi à maintenir les taux d’imposition les plus faibles au pays au lieu d’être épargnés comme en Norvège. Là encore, ce ne sont ni les libéraux ni le NPD et encore moins le Bloc qui sont responsables de cette absence de prévoyance, mais les élus conservateurs, locaux et nationaux, pour qui des impôts peu élevés sont toujours le meilleur signe d’un bon gouvernement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo