Transparence et vigilance

Lorsqu’un risque est posé à la santé des plus vulnérables, n’y a-t-il pas une loi naturelle qui commande l’action la plus musclée, rapide et efficace ? Il semble que ce principe, qui devrait s’imposer en matière de gouvernance, n’ait pas été appliqué par le gouvernement du Québec pour protéger les enfants fréquentant les écoles et les garderies des dangers associés à la présence de plomb dans l’eau des fontaines.

On sait depuis le coeur de l’été dernier que le niveau de plomb dans l’eau des écoles du Québec est anormalement élevé en certains endroits et pourrait menacer le développement cognitif des enfants. Un rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) dévoilé en juillet par Le Devoir avait placé à modéré le niveau d’alerte, le premier ministre François Legault s’étant dit « préoccupé » mais pas alarmé au point de vouloir modifier le contrôle du plomb dans l’eau des écoles et des garderies. Deux percutants reportages publiés par les collègues du Soleil et de La Presse+cette semaine ont montré que les niveaux de plomb dépassaient largement ici et là le degré de toxicité acceptable.

Il est évidemment heureux que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, ait décidé d’élever le niveau d’alerte et de passer à l’action : non seulement des évaluations de l’ensemble des sources d’eau seront effectuées, mais on promet de condamner les fontaines désuètes et de moderniser les structures. Dommage toutefois qu’il ait fallu un exposé public et médiatique de cette situation corrosive pour qu’en haut lieu on décide de s’attaquer à la source du problème. Disons-le : ce type de rattrapage politique n’est pas de nature à rassurer les parents, que cette valse-hésitation entraîne forcément dans le doute et la suspicion. La suite des choses devra se faire sur le mode de la rigueur et de la célérité.

Les signaux se sont pourtant additionnés au cours de la dernière année et auraient dû concourir à provoquer une action politique. Comme, par exemple, le fait que trois éminents chercheurs associés au projet Visez Eau à l’école — une initiative visant précisément à encourager les élèves à étancher leur soif en utilisant les fontaines plutôt qu’en consommant des boissons sucrées, très néfastes pour la santé — aient décidé de démissionner du projet après avoir compris que la vigilance entourant la qualité de l’eau n’était pas suffisamment élevée.

Dans une lettre de démission obtenue par Le Devoir, Michèle Prévost, Manuel J. Rodriguez et Patrick Levallois expliquent comment la décision du ministère de la Santé et des Services sociaux d’abolir le « volet suivi de la qualité de l’eau de Visez Eau » les a indisposés. Le projet initial incluait un volet lié à la vérification de la qualité de l’eau, et non sans raison : un projet-pilote mené en 2016 en guise de prélude à Visez Eau a révélé la présence de concentrations élevées de plomb dans l’eau de deux écoles québécoises choisies au hasard. Sitôt prévenues, les autorités locales avaient d’ailleurs entrepris de modifier les installations afin de retrouver une qualité d’eau potable acceptable pour la santé des élèves.

Cela devrait aller de soi. Comment expliquer alors, sinon par une forme d’indolence calculée, qu’on ait pratiqué l’aveuglement volontaire en choisissant le meilleur moyen de ne pas être confrontés aux mauvaises nouvelles, soit de ne pas tester l’eau des écoles ?

Il faudra une sérieuse opération de transparence et de diligence pour que soient rassurés les parents, eux qui depuis quelques semaines ont ajouté à une liste de certaines inquiétudes parentales la peur que Junior n’ait une soudaine envie de boire à la mauvaise source.

À voir en vidéo