Aide médicale à mourir: mûrs pour la deuxième étape

En l’espace d’une petite journée cette semaine, les flûtes du Québec et d’Ottawa se sont accordées pour siffloter la bonne nouvelle : les deux gouvernements ont décidé qu’ils n’interjetteront pas appel du jugement rendu en Cour supérieure le 11 septembre dernier par la juge Christine Baudouin sur l’aide médicale à mourir. La magistrate a donné six mois aux législateurs pour revoir les critères d’admissibilité tenant à la prévisibilité de la mort.

Le délai est très court pour l’ampleur de la tâche à abattre, au coeur de laquelle se trouve l’harmonisation des lois du Québec et d’Ottawa. Il n’est pas inutile de rappeler que, si les juridictions avaient tenu compte dès le départ des enjeux délicats liés au critère de fin de vie, Nicole Gladu et Jean Truchon n’auraient pas eu, dans leur état et leur souffrance, à venir convaincre un tribunal de l’invalidité des lois soutenant l’accès à l’aide médicale à mourir (AMM). Parce que leur état de santé respectif ne les inscrivait pas d’emblée comme candidats se trouvant au seuil de la mort (le critère de « fin de vie », pour la loi du Québec ; et le critère de « mort raisonnablement prévisible », pour la loi fédérale), les deux Québécois ne se qualifiaient pas pour l’AMM. Il y a désormais un espoir.

La ministre de la Santé, Danielle McCann, et la Procureure Sonia LeBel ont promis qu’elles s’affaireraient à revoir la loi, tel que leur intime la Cour supérieure. Un riche chantier de réflexion autour de l’inaptitude s’annonce ; il y sera question notamment de la disponibilité de l’AMM pour des personnes atteintes de maladies dégénératives du cerveau comme la maladie d’Alzheimer. La députée du Parti québécois et auteure de la Loi concernant les soins de fin de vie, Véronique Hivon, a applaudi jeudi l’annonce et l’initiative. Après un « premier grand pas » franchi pour l’AMM par le Québec, elle croit la société mûre pour cette deuxième étape. Même si les enjeux entourant l’élargissement des critères d’admissibilité sont d’une extrême délicatesse et d’une grande complexité, on peut croire en effet que la société est prête à en débattre. Le critère de dignité est passé dans les moeurs.

Deux conditions essentielles devront toutefois être mises en place pour que la discussion porte ses fruits.

 

D’abord, que le partage des compétences fédérales et provinciales soit clair et harmonieux. L’occasion est belle de créer un comité fédéral-provincial qui permette la conciliation des lois, ainsi que le recommande l’avocat Jean-Pierre Ménard, qui a épaulé Mme Gladu et M. Truchon dans leur lutte. Il y a peu de sphères politico-sociales dans lesquelles les rôles du fédéral et des provinces sont aussi imbriqués que celui de la santé. Dans l’arrêt Carter — qui a invalidé en 2015 deux articles du Code criminel canadien criminalisant l’aide médicale à mourir — la santé a été définie comme un domaine de « compétence concurrente ».

La Cour suprême a rejeté l’idée d’une compétence exclusive réclamée à grands cris par les procureurs provinciaux intervenus dans l’affaire Kay Carter, cette femme de la Colombie-Britannique atteinte d’une maladie dégénérative de la moelle épinière. Dans un autre jugement récent où s’entrecroisaient le droit en matière de santé et le droit pénal (Canada c. PHS Community Services Society), la cour a proposé d’opter pour le « fédéralisme coopératif », et noté du même souffle que la délimitation précise des champs de l’un et de l’autre était vouée à l’échec, ce qui ne laissait d’autre voie possible que celle de la collaboration. Les querelles potentielles sont aisées à entrevoir, mais l’intérêt supérieur des patients et des citoyens devrait primer tout dans un domaine aussi précieux que celui de la santé et de la dignité humaine.

Ensuite, que la résistance et la non-disponibilité des médecins s’amenuisent. Même si une amélioration a été observée depuis l’avènement de la Loi concernant les soins de fin de vie, le nombre de médecins qui acceptent d’administrer l’AMM demeure insuffisant. Cela crée, encore en 2019, une disponibilité inéquitable sur le territoire québécois ; dans une même région, on note encore des disparités majeures d’un hôpital à l’autre, selon ce que certains décrivent comme des poches de résistance associées à des idéologies défenderesses des soins palliatifs.

Les lois pourront être harmonieuses, claires et élargir l’accessibilité, elles se réduiront à bien peu de choses si, sur la première ligne, les patients peinent à trouver des médecins pour qui l’AMM ne constitue ni une tare, ni non plus un fardeau bureaucratique.

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