La CAQ perd son courage

La ministre de la Justice et responsable de la Réforme électorale, Sonia LeBel, a confirmé vendredi qu’il n’y aura pas de scrutin proportionnel en 2022, un triste revirement télégraphié par la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis quelques mois.

Mme LeBel joue sur les mots en affirmant que l’engagement du gouvernement Legault consiste à déposer un projet de loi d’ici le 1er octobre. Lors de la campagne, François Legault livrait un tout autre message. L’élection de 2018 sera la dernière selon le mode actuel, disait-il. « On ne fera pas comme Justin Trudeau », lançait-il, en référence à la volte-face du premier ministre canadien, qui a complètement mis au rancart cette promesse.

Le prétexte évoqué par le gouvernement Legault est d’une délicieuse supercherie. Il se cache derrière le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), qui a demandé un délai de 30 à 42 mois avant d’implanter un scrutin propositionnel. L’Écosse a abattu ce travail en six mois, mais passons. En mai, M. Legault affirmait que le DGEQ pourrait organiser un scrutin proportionnel à temps pour 2022 si son gouvernement déposait un projet de loi avant le 1er octobre. Cela laisserait 33 mois jusqu’en juin 2022. Il suffirait d’une bonne dose de volonté politique, de l’ajout de ressources au DGEQ et d’une coordination entre celui-ci et l’Assemblée nationale pour surmonter ce problème de délai.

En réalité, ce pas de recul tient aux déchirements au sein du caucus caquiste, formé d’élus craintifs de perdre leur majorité et leurs sièges. Selon des simulations, la majorité de la CAQ serait tombée de 74 à 60 sièges environ dans un système proportionnel mixte compensatoire, en vertu duquel 80 députés seraient élus au suffrage direct, et 45 par une liste. M. Legault a donc accordé la priorité à l’harmonie au sein des ses troupes en sacrifiant la réforme.


 
 

Le scrutin majoritaire uninominal à un tour date de l’époque des lords à perruque et des calèches. Ce système en vigueur depuis 1792 a bien servi la démocratie au temps du bipartisme. Depuis un quart de siècle, les électeurs québécois se comportent comme s’ils évoluaient au sein d’un système proportionnel, en entretenant la vie organisationnelle de quatre formations à la fois. Le bipartisme a assuré une certaine stabilité politique, mais il provoque aujourd’hui de sérieuses distorsions dans la représentativité des idées politiques à l’Assemblée nationale.

À titre indicatif, la CAQ détient 6 sièges sur 10 à l’Assemblée nationale (74 sur 125) alors qu’elle a récolté moins de 4 voix sur 10 (37 % du vote). Le système fait en sorte que 55 % des voix exprimées lors du scrutin (2,2 millions de votes) n’ont pas généré l’élection d’un seul député, observe le Mouvement démocratie nouvelle (MDN), farouche partisan de la proportionnelle. Et on cherche encore les raisons du décrochage citoyen face à la chose politique. Ironie du sort, c’est pour contrer une « désaffection générale pour la politique » que la CAQ envisageait, dès 2015, un scrutin proportionnel.

Tous les espoirs ne sont pas perdus. La CAQ n’abandonne pas l’idée d’une réforme. La ministre LeBel envisage la tenue d’une vaste consultation, et possiblement un référendum, pour faire entrer la proportionnelle dans les moeurs politiques. Ses intentions ne sauraient faire oublier que la démarche de la CAQ revient à mettre le projet au rancart jusqu’en 2026, au bas mot.

Le référendum n’est pas un passage obligé pour instaurer la proportionnelle. Trois partis représentant 94 des 125 circonscriptions et 71 % des voix (la CAQ, le Parti québécois et Québec solidaire) ont signé la feuille de route à ce sujet. S’il est vrai qu’un travail pédagogique doit être mené pour mieux faire connaître la proportionnelle, une commission itinérante élargie pourrait combler cette lacune à temps pour 2022.

Pour l’heure, ce n’est pas la population qui demande ce référendum, mais des élus de la CAQ et des libéraux exsangues, inquiets pour leur avenir. Près de sept répondants sur dix, sondés par Léger, pour le compte du MDN, souhaitent que le gouvernement respecte sa promesse de réformer le mode de scrutin. Nous en sommes encore à ce constat formulé par l’ex-ministre libéral et constitutionnaliste, Benoît Pelletier. « Ce qu’on voit comme un avantage, l’expression de la pluralité, peut devenir une menace pour les partis existants », disait-il à La Presse en janvier.

À force d’insister sur les menaces existentielles pour les députés et la représentativité des régions, voire la viabilité d’un gouvernement majoritaire francophone, les opposants de la proportionnelle perdent de vue le fond du problème. Un système en vertu duquel plus de la moitié du vote passe à l’oubli au lendemain de l’élection est une menace autrement plus sérieuse à la participation citoyenne et à la pérennité des institutions démocratiques que la proportionnelle ne le sera jamais.

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