Affaire Normandeau: un procès bien fragile
Le retrait partiel des accusations portées contre l’ex-ministre libérale Nathalie Normandeau et cinq coaccusés est une nouvelle illustration des problèmes qui sapent les fondements de la lutte contre la corruption au Québec.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé vendredi le retrait de cinq des huit accusations de fraude, de complot et de corruption portées contre Mme Normandeau et ses coaccusés, parmi lesquels figure l’ancien organisateur politique Marc-Yvan Côté.
Le DPCP semble trouver du réconfort dans le fait que trois accusations de fraude tiennent toujours. Le procureur au Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales, Richard Rougeau, a affirmé que le retrait des accusations en cours de procédures judiciaires est une pratique courante. « Ça se passe quotidiennement dans les palais de justice. Un dossier, c’est vivant, surtout quand ça dure trois ans », a-t-il dit.
L’affirmation relève d’un sophisme bancal. Non, le retrait des accusations n’est pas une pratique courante, surtout pas dans le contexte de l’affaire Normandeau. Ce revirement survient 1361 jours après l’arrestation de l’ancienne vice-première ministre du gouvernement Charest. Il s’explique par la « découverte », pour le moins tardive, d’informations qui ont été communiquées par l’avocat de Mme Normandeau, Maxime Roy. Il s’agit de documents publics qui n’ont rien de secret et que le premier enquêteur trouverait dans l’Internet à partir d’une recherche. La belle affaire.
Parmi les remparts érigés dans une société libre afin de protéger les citoyens contre l’arbitraire de l’État, la présomption d’innocence est sans contredit le plus important. Avant même d’enquêter sur une personne, un policier doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise. Au terme de son enquête, et après analyse du dossier, un procureur doit avoir la conviction morale qu’il obtiendra une condamnation, et ce, hors de tout doute raisonnable, avant de se décider à porter des accusations.
Cette conviction morale devait être supportée par un échafaudage intellectuel bien fragile si elle a volé en éclats dès qu’un avocat de la défense a produit le résultat d’une recherche sur Google au bénéfice de la Couronne. Il y a quelqu’un au DPCP pour expliquer ce spectaculaire revirement ?
Une partie de la réponse reposerait sur une omission des enquêteurs, avance Me Roy. S’ils avaient interrogé Nathalie Normandeau dans le cadre de leur enquête, ils auraient obtenu facilement les informations la disculpant, a-t-il avancé. Il n’y a pas de réponse toute faite sur la pertinence de rencontrer ou non un suspect en cours d’enquête policière. Dans les affaires de corruption et de fraude, un monde fait de nuances et de zones de gris, ce surplus d’attention peut s’avérer utile, ne serait-ce que pour infirmer ou confirmer des soupçons, et contre-vérifier la valeur probante des déclarations faites par des informateurs ou des témoins civils.
Toute cette histoire sent le réchauffé. C’est le même film qui passe à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) depuis quelques années. Des lacunes dans la compréhension fine des crimes de fraude, de corruption et de collusion, jumelées à la désuétude du Code criminel en ces matières, sont à la source de nombreux cafouillages dans les enquêtes, et ils expliquent pourquoi tant de procès finissent en queue de poisson.
Sans se prononcer sur des affaires précises, le Comité de surveillance des activités de l’UPAC, présidé par Claude Corbo, évoque ce problème de formation et de compétence dans son premier rapport d’activité, déposé en juin dernier.
Le Comité ose même remettre en question, en toute connaissance de cause, l’un des dogmes inébranlables du monde policier, à savoir qu’il faut nécessairement avoir fait ses classes comme patrouilleur-gendarme avant de devenir enquêteur. Cette obligation est même inscrite dans la Loi sur la police. Sans nier l’importance et l’expertise qu’apportent les patrouilleurs-gendarmes, le Comité de surveillance suggère de recruter aussi des enquêteurs en dehors du champ traditionnel de la police, parmi les ingénieurs, les comptables, les fiscalistes, les avocats et d’autres professionnels. Ceux-ci pourraient obtenir le statut d’agent de la paix après avoir suivi une formation complémentaire à l’École nationale de police du Québec. La complexité des enquêtes de corruption exige de nouvelles façons de faire et l’ajout de nouvelles expertises au sein de l’UPAC. À défaut, la lutte contre la corruption continuera de faire du sur-place.