Sortir de la crise dans l’équité

C’est la fin d’une aventure audacieuse pour l’ex-ministre libéral Martin Cauchon. Le président de Capitales Médias a cédé le contrôle du groupe, qui est en proie à de sérieuses difficultés financières. Capitales Médias s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Son principal bailleur de fonds, Investissement Québec (IQ), a dû consentir un prêt de cinq millions de dollars pour éviter un naufrage complet.

Dans l’immédiat, le nouveau prêt d’IQ permettra aux six quotidiens du groupe (Le Soleil, Le Droit, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Voix de l’Est et La Tribune) de poursuivre leurs activités. C’est un passage obligé pour préserver les emplois en journalisme et permettre aux citoyens des six régions concernées d’accéder à de l’information locale, un genre important et durement touché par la crise qui secoue l’industrie des médias depuis une décennie.

Ce prêt maximal de cinq millions fait porter à quinze millions de dollars les sommes prêtées à Capitales Médias par Investissement Québec pour éviter une faillite inéluctable. Contrairement aux informations rapportées dans certains médias, Capitales Médias est la seule entreprise qui a bénéficié de l’aide d’IQ. Le Devoir avait été qualifié pour un prêt de 526 000 $ d’IQ, mais il a décidé de le refuser après la création d’un programme universel et normé de crédit d’impôt remboursable de 35 % sur le développement numérique.

Le traitement préférentiel accordé à Capitales Médias est inévitable pour préserver la diversité des voix en région à court terme. Il n’en demeure pas moins inéquitable. À la veille de la commission parlementaire sur l’avenir des médias d’information, le gouvernement Legault devra songer aux limites qu’il faut poser à l’aide gouvernementale aux médias. Depuis 2017, le gouvernement du Québec a annoncé des aides publiques aux médias de plus de 116 millions sur une période de six ans. Ces différents programmes ont été accueillis favorablement par les éditeurs de presse, les syndicats de journalistes et les associations professionnelles, qui demandent toutefois un soutien accru. Le Devoir fait partie du groupe, mais il ne demande pas de vivre sous perfusion étatique constante.

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a fait part de son intention de créer un programme d’aide universel d’ici le mois de septembre ou octobre, afin d’aider les médias qui ont fait la démonstration de la pérennité de leur modèle d’affaires. C’est là que le bât blesse. Le modèle de l’avenir reste à inventer. À part Le Devoir, aucun quotidien ou hebdomadaire au Québec ne mise sur le modèle d’abonnements pour rentabiliser la production de ses contenus numériques. La gratuité est un mirage sur lequel de nombreux médias, dont ceux de Capitales Médias, ont appuyé leur stratégie d’affaires, dans l’espoir de récolter des revenus de publicité numérique. Or, ces revenus sont accaparés en grande partie par les Google, Facebook et consorts.

Le Centre d’étude sur les médias évaluait récemment que l’ensemble des médias avaient perdu 29 % de leurs revenus de publicité entre 2012 et 2017. Cette chute considérable, associée à une faible diversification des sources de revenus, a contribué à faire passer la marge bénéficiaire des quotidiens et des hebdomadaires (les plus durement touchés par la crise) de 14,4 % en 2010 à -0,1 % en 2016.

Le Devoir n’échappe pas à ces turbulences, mais en misant sur un modèle d’abonnements, pour ses contenus tant imprimés que numériques, il a réussi à atteindre la rentabilité à quatre reprises au cours des six dernières années. L’équilibre est précaire, mais il nous place dans une situation unique pour poser des questions délicates mais importantes dans le débat actuel. Est-ce à l’État de combler le manque à gagner pour l’érosion des revenus de publicité ? Ne faut-il pas envisager aussi une participation accrue des lecteurs ? En définitive, c’est à eux que s’adressent les médias impliqués dans le journalisme de qualité.

Le gouvernement peut faire mieux : en privilégiant les programmes équitables pour tous, en assurant l’équité fiscale dans le commerce électronique, en renouant avec la publication des avis publics dans la presse écrite, et en réinjectant ses investissements publicitaires dans les médias d’ici avant d’engraisser les entreprises du GAFA.

Mais en ce qui a trait à l’information locale, les élites politiques, économiques et les lecteurs des régions concernées doivent faire partie de la solution. Si l’information locale est si importante qu’on le dit, pourquoi ne s’approprient-ils pas davantage l’enjeu de la survie de la presse locale ?

Selon toute vraisemblance, les six quotidiens de Capitales Médias seront vendus, en bloc ou séparément, par le redresseur nommé par Québec, Stéphane Lavallée. C’est un moment charnière dans la crise des médias. Le moment où les collectivités locales peuvent se mobiliser pour sauver leurs médias, qu’ils disent si essentiels à leur vitalité. Le soutien de l’État ne remplacera jamais l’enracinement d’un média dans sa communauté d’appartenance.



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