Encadrement des GAFA: la France donne le ton

La France vient de faire une déclaration de souveraineté culturelle dont le Canada devrait s’inspirer en décidant d’imposer une taxe de 3 % aux entreprises des GAFA, en référence à Google, Apple, Facebook et Amazon.

La France souhaite prélever 3 % du chiffre d’affaires des entreprises réalisant des activités numériques de plus de 750 millions d’euros dans le monde (1,1 milliard de dollars) et 28 millions d’euros (41 millions) en France. La taxe peut sembler punitive à l’égard des entreprises des GAFA, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le commerce électronique mondial est dominé par un oligopole américain évoluant dans un cadre réglementaire anémique. Toute mesure visant à rétablir un certain sens de l’équité fiscale frappera inéluctablement les entreprises de la Silicon Valley, puisqu’elles représentent l’alpha et l’oméga du commerce électronique.

En guise de protestations, les États-Unis ont annoncé l’ouverture d’une enquête contre la France pour pratiques commerciales déloyales, ce qui pourrait mener à l’imposition de tarifs douaniers sur des produits d’exportation français. Cette contre-offensive ne surprend guère de la part du gouvernement Trump, si friand qu’il est des sanctions économiques contre ses alliés occidentaux.

Cette taxe ne verra probablement jamais le jour, mais elle a le mérite de faire pression pour trouver une solution durable à l’inacceptable situation d’iniquité fiscale qui profite aux GAFA. Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, a en effet confirmé que la taxe était « temporaire » et qu’il la retirera dès que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) trouvera « une solution crédible de taxation des activités du numérique ».

Les 129 pays membres du Cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices de l’OCDE ont adopté, en mai dernier, une feuille de route à ce sujet. L’OCDE cherche une solution globale pour résoudre les problèmes fiscaux engendrés par la numérisation de l’économie. Le concept d’établissement sur un territoire n’est plus approprié pour taxer une entreprise. Il faudra prendre en considération que les activités d’une entreprise numérique existent au-delà des frontières, d’où la nécessité d’imposer une partie des bénéfices dans les pays où se trouvent les clients ou les utilisateurs, comme le suggère l’OCDE.

Cette ambitieuse réforme est nécessaire pour préserver l’unité du cadre fiscal des États et leur capacité de livrer les mesures sociales et programmes auxquels leurs citoyens sont en droit de s’attendre. Le gouvernement Trudeau, si soucieux du confort de la classe moyenne, devrait réaliser qu’il ne pourra pas répondre aux attentes de celle-ci s’il ne donne pas un sérieux coup de barre pour rétablir l’équité fiscale.

Selon les estimations de l’OCDE, les pertes de recettes fiscales engendrées par l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices pourraient s’élever jusqu’à 240 milliards $US, soit 10 % des recettes fiscales globales. Nous assistons à un glissement inquiétant, faisant en sorte que les particuliers et les entreprises issus du « vieux monde » analogique assument un fardeau démesuré pendant que les GAFA empilent des milliards et des milliards de profits sans payer leur juste part en taxes et impôts.

Si elle est laissée entre les mains des entreprises des GAFA et du gouvernement Trump, la révolution numérique deviendra l’ultime révolution libertarienne. Cette révolution doit demeurer démocratique, au service de l’intérêt public.

Le gouvernement Trudeau a collaboré aux travaux de l’OCDE, mais il hésite à jouer le rôle de chef de file. Agir, comme le fait la France, contribue à accentuer la pression sur l’OCDE, à nourrir des alliances internationales et à contrecarrer l’isolationnisme et le laisser-faire américains.

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