Fiscalité et religion: la neutralité s’impose

Un des objectifs fondamentaux de la loi sur la laïcité (PL21) du gouvernement Legault est la réaffirmation du caractère laïque de l’État du Québec. Cette oeuvre restera cependant largement inachevée si ne sont pas aussi passés en revue les programmes à travers lesquels le gouvernement encourage le fait religieux. Et comme l’a montré le dossier publié dans nos pages, la fiscalité doit être première dans la ligne de mire.

Il est difficile de comprendre comment on peut inscrire ce statut laïque de l’État québécois dans la Charte des droits et libertés de la personne, réaffirmer la séparation de l’État et de la religion et l’égalité de tous les citoyens, et renoncer chaque année à des centaines de millions de dollars en revenus fiscaux au profit d’organisations religieuses. C’est pourtant ce que fait Québec.

Tout part de l’attribution du statut d’organisme de bienfaisance enregistré (OBE) qui permet aux donateurs de bénéficier d’un crédit d’impôt. Selon la définition d’Ottawa, qui accorde ce statut, un OBE peut avoir pour fins le soulagement de la pauvreté, l’avancement de l’éducation, l’avancement de la religion ou « toutes autres fins bénéfiques pour la collectivité ».

Par souci d’harmonisation des règles fiscales, Québec s’en remet à la décision de l’Agence canadienne du revenu en la matière. Mais ce statut vient avec des avantages qui vont au-delà du crédit d’impôt. On parle d’exemption d’impôt sur le revenu, de congé d’impôt foncier, de taxes municipales et scolaires et de récupération d’une partie des taxes de vente.

Selon les estimations réalisées par le professeur de droit de l’Université de Sherbrooke Luc Grenon, les crédits d’impôt aux organismes religieux ont à eux seuls privé Ottawa de 1,57 milliard de dollars en 2007. Toujours selon les recherches du professeur Grenon, les OBE religieux canadiens ont récolté en 2010 environ 40 % des dons admissibles au crédit d’impôt.

L’ensemble des mesures fiscales en faveur des OBE religieux coûterait au Québec quelques centaines de millions de dollars. Selon la dernière estimation annuelle obtenue par Le Devoir, les taxes municipales et scolaires ainsi perdues totaliseraient à elles seules 182,3 millions.


 
 

Le statut d’OBE a vu le jour au tournant de la Grande Dépression afin d’encourager la générosité des citoyens envers des organismes offrant un bénéfice à la société. Le hic est que plus de la moitié des OBE religieux consacrent toutes leurs ressources ou presque à des activités liées à la foi et au culte, selon une étude du professeur Grenon réalisée en 2013. Où est le « bénéfice public tangible », demandait-il avec justesse ?

Les tribunaux, largement inspirés par la common law mais armés surtout d’une loi aux définitions trop vagues, ont déterminé au fil des ans que l’avancement de la religion était un « bienfait » pour la communauté. Rien n’interdit cependant au législateur de resserrer la loi et à Québec de choisir ses règles.

C’est de lui que relève l’encadrement de la fiscalité municipale et scolaire. Actuellement, les lieux de culte et certains autres édifices religieux sont exemptés de ces taxes. Cet accommodement est l’héritage d’une époque où l’Église assurait une foule de services de base et où les paroisses tenaient lieu d’administrations locales. La Révolution tranquille a scellé leur sort et les exemptions, au départ d’une portée très large afin de permettre aux communautés de s’ajuster, n’ont plus leur raison d’être.

En plus, elles donnent des maux de tête aux municipalités, dont la principale source de revenus est l’impôt foncier. Certains élus, comme la mairesse de Boisbriand, ont demandé récemment qu’on réexamine ces congés de taxes. Cette requête ne date pas d’hier. En 1979, l’Union des municipalités recommandait déjà qu’on les limite.

Ces appels doivent être entendus. Ottawa doit revoir sa définition de l’organisme de bienfaisance et Québec, cesser de s’en remettre au fédéral pour décider des avantages offerts aux OBE. Il doit en exclure les organismes religieux n’offrant aucun service ou bénéfice tangible à la communauté.

En renonçant à ces revenus, les gouvernements sont obligés de combler le manque à gagner en pigeant dans les poches de tous les citoyens, qui se retrouvent ainsi à financer, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils soient athées ou non, des religions et des sectes. C’est inéquitable. Et incohérent de la part d’un État censé être religieusement neutre.

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