SNC-Lavalin: à la recherche d’un équilibre

La firme d’ingénierie SNC-Lavalin a été citée à procès pour fraude et corruption d’agents étrangers pour ses activités en Libye, ce qui rend improbable la conclusion d’un accord de poursuite suspendue (APS). Un fiasco portant la marque de l’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

Le cas de SNC-Lavalin était tout indiqué pour un APS, que Mme Wilson-Raybould a refusé pour des raisons inexpliquées. La cause de SNC-Lavalin suscite peu d’empathie hors du Québec. La firme est accusée d’avoir versé près de 48 millions de dollars en pots-de-vin à des intermédiaires du régime Kadhafi, de 2001 à 2011, afin de soutirer de lucratifs contrats en Libye.

La preuve au procès est frappée d’une ordonnance de non-publication. Le secret professionnel empêche Mme Wilson-Raybould de livrer le fond de sa pensée. En raison de ces contraintes, l’affaire risque de planer sur les prochaines élections fédérales sans que les électeurs puissent y voir clair.

Nous savons au moins que la direction actuelle de SNC-Lavalin a fait le ménage, que les pratiques de corruption appartiennent au passé et que les protagonistes du dossier libyen ne sont plus dans l’entreprise. Nous savons aussi que la firme sera bannie des marchés publics canadiens pendant dix ans si elle est reconnue coupable des accusations portées contre elle, que son siège social pourrait quitter Montréal, que des milliers d’emplois sont en jeu.

À qui profitera la débâcle appréhendée de SNC-Lavalin ? Certainement pas au Québec, ni même au Canada. Le ministre fédéral de l’Infrastructure, François-Philippe Champagne, a souligné le besoin de concurrence et d’expertise pour s’occuper de projets d’infrastructures évalués à 187 millions de dollars. L’exclusion de SNC-Lavalin des contrats publics diminuera le bassin potentiel de firmes qualifiées pour les grands ouvrages, au risque de provoquer un ralentissement des projets et une concentration de marché.

Le ministre de la Justice, David Lametti, peut encore demander à la Couronne fédérale de conclure un APS avec SNC-Lavalin, tant que la firme n’a pas été reconnue coupable des crimes qui lui sont reprochés. À quelques mois des élections, s’il y parvient, ce sera au risque d’exposer le gouvernement Trudeau aux attaques partisanes et au cynisme de la population.

Les libéraux n’ont pas réussi à bien expliquer les modalités de l’APS, par lequel une entreprise peut échapper aux poursuites pénales en échange d’une admission de responsabilité et du paiement d’une amende sévère. Ces ententes sont populaires et payantes, révèle un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Depuis 1999, 695 des 890 cas de corruption à l’international (78 % du total) ont été tranchés par des mécanismes de règlement non judiciaires. Les ententes hors procès ont permis de récupérer 14,2 milliards en pénalités, alors que les procès en bonne et due forme n’ont rapporté que 745 millions. C’est une avenue qui n’a rien de scandaleux. Les parties flouées peuvent obtenir réparation de la part des firmes fautives. Et celles-ci peuvent poursuivre leurs activités et préserver des emplois, pourvu qu’elles adoptent des règles de gouvernance et des pratiques d’affaires fondées sur l’éthique, et non la corruption.

Le sort de SNC-Lavalin risque de se décider après le scrutin. Ce dossier interpelle à la fois les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates. Les deux principaux partis d’opposition se contentent d’associer le gouvernement Trudeau au copinage et à l’interférence au profit d’une firme aux moeurs autrefois douteuses. Si d’aventure ils sont élus, que diront-ils aux Québécois inquiets pour l’avenir de SNC-Lavalin ? Quelle est leur solution ?

Le gouvernement Trudeau y est allé de maladresse en maladresse dans cette histoire. S’il reste un espoir, c’est qu’il modifie le cadre législatif afin de permettre une modulation de la période d’interdiction des marchés publics en cas de condamnation. Il s’agit de prendre en considération les facteurs atténuants et aggravants, comme dans toutes les affaires criminelles, et de trouver le point d’équilibre entre la punition justifiée et la démolition inacceptable d’un fleuron du Québec inc.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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