Biodiversité: une impression de vertige

Le nouveau rapport publié cette semaine par l’ONU sera à la biodiversité ce que ceux du GIEC sont au réchauffement climatique : un jalon ne pouvant être ignoré, au péril de notre avenir. Pour la première fois, l’ONU a brossé le portrait mondial de la biodiversité, résultat de la collaboration de 145 experts en provenance de 50 pays. Il se dégage de la lecture une impression de vertige. Environ un million d’espèces végétales et animales sont menacées de disparition en raison de l’activité humaine. Et le taux d’extinction est de 10 à 100 fois plus rapide que la normale.

L’anthropocène, soit « l’ère de l’homme » à l’échelle des temps géologiques, se déroule en accéléré. L’influence humaine sur la biosphère est documentée avec minutie par les experts internationaux réunis sous l’égide de l’ONU.

Outre le million d’espèces végétales et animales promises à l’oubli éternel d’ici une trentaine d’années, le rapport indique, entre autres, que : les trois quarts des milieux terrestres et les deux tiers des milieux marins sont sévèrement altérés ; 87 % des milieux humides ont disparu ; le quart des espèces vertébrées terrestres, d’eau douce et marines sont menacées de disparition ; le tiers des récifs coralliens sont aussi menacés ; l’habitat naturel de 500 000 espèces terrestres ne sera pas suffisant pour assurer leur survie à long terme.

L’anthropocène érige le genre humain au rang de « tueur silencieux », car c’est bien lui le responsable des maux de la planète. Parmi les cinq facteurs qui contribuent à ce que les auteurs désignent comme « une mort à petit feu », on retrouve l’exploitation des terres agricoles, l’exploitation directe des ressources naturelles, les changements climatiques, la pollution par le rejet dans l’environnement de 80 % des eaux usées mondiales sans traitement et, enfin, la prolifération des espèces invasives.

Et concrètement ? L’hirondelle du printemps se fait plus rare au Québec. L’ouvrière des champs, l’infatigable abeille, est en panne de pollinisation. Le caribou forestier est condamné à la périphérie de Val-d’Or, car il coûterait trop cher à sauver, selon le calcul du précédent gouvernement. Ne pariez pas sur le majestueux tigre du Bengale. C’est un dodo en devenir. La chaîne alimentaire et la survie des espèces sont déréglées par le produit de l’activité humaine et les conséquences seront tragiques.

La singularité de ce rapport est de relier la biodiversité, la préservation des espèces et des milieux naturels, la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable et les fondements des économies pour l’ensemble des pays, riches ou pauvres.


 

Alors que faire ? Les constats du rapport sont profondément anxiogènes. Il fut un temps où la jeunesse craignait le spectre de l’annihilation nucléaire. Les jeunes d’aujourd’hui se demandent si la planète pourra encore les porter lorsqu’ils atteindront l’âge adulte. Pas surprenant de les voir quitter les cours, jusque dans les écoles secondaires, pour manifester sous le soleil ou la pluie. Les petits gestes comptent, et c’est bien là l’ingéniosité du Pacte pour la transition, lancé par Dominic Champagne. À ce jour, près de 275 000 personnes ont pris l’engagement non pas d’être parfaites, mais de tenter de limiter leur empreinte écologique au quotidien. C’est encore trop peu. Privilégier les transports actifs, manger moins de viande, gaspiller moins : autant de gestes que les esprits chagrins balaient du revers de la main, mais qui feront pourtant une différence avec la force du nombre. Les trois quarts des terres agricoles sont aujourd’hui destinées à l’élevage d’animaux et à la production des céréales pour l’alimentation de ceux-ci, faisait remarquer dans Le Monde l’économiste Yann Laurans. Réduire la part de l’alimentation carnée constituerait, selon lui, l’une des mesures les plus efficaces pour préserver la biodiversité.

Les petits gestes ne remplaceront jamais les mesures structurantes qui se font attendre et qui exigeront courage et fermeté de la part des gouvernements. Le rapport de l’ONU évalue à 460 milliards de dollars les subventions annuelles mondiales du secteur des énergies fossiles. Et si on subventionnait la recherche et le développement de l’industrie des énergies renouvelables, en lieu et place de cette gabegie ?

Dans la foulée de la publication du rapport, des groupes environnementalistes ont suggéré de protéger jusqu’à 30 % des milieux marins et terrestres d’ici 2030. Le Québec et le Canada ont le luxe de l’espace, et ils peuvent faire beaucoup mieux à ce chapitre. En ce moment, le Canada a protégé 10 % de ses milieux naturels terrestres et 8 % de ses milieux marins seulement. Le Québec est aussi à la traîne.

La prochaine Conférence des Nations unies sur la diversité biologique aura lieu en 2020 en Chine. Lors de la précédente réunion, en 2010, les nations se sont fixé d’ambitieux objectifs qu’ils n’ont pas atteints. Cette fois, il y a urgence de trouver des solutions concertées, ce qui s’annonce complexe. L’ère industrielle a mis en marche la sixième extinction de masse sur la planète, mais l’humanité n’a pas encore la pleine conscience qu’elle porte la faute et le salut de son espèce.

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