Financement: Téléfilm Canada doit corriger ses erreurs
Près d’un mois après que les médias eurent révélé que le tournage de plusieurs projets de longs métrages francophones était compromis en raison d’un manque de fonds à Téléfilm Canada, sa directrice générale, Christa Dickenson, n’a toujours pas expliqué comment elle allait régler le problème. Elle perd rapidement la confiance du milieu.
Mme Dickenson a d’abord réfuté les informations selon lesquelles les investissements plus élevés dans le financement du cinéma québécois en 2018-2019 allaient entraîner une baisse en 2019-2020, selon le principe des vases communicants d’une année financière à l’autre. « Bien sûr que non, c’est faux. Il y a de l’argent », a-t-elle dit, en promettant de partager sa vision des choses lors d’une conférence devant l’industrie.
En raison d’un empêchement, Mme Dickenson a délégué le directeur du financement des projets, Michel Pradier, à cette conférence du 18 avril. Celui-ci a bel et bien confirmé que l’enveloppe 2019-2020 pour la production de films en français était à sec. Ce fut sa dernière prestation publique.
Le 30 avril, Michel Pradier et deux autres membres de la direction de Téléfilm, Roxane Girard (directrice des relations d’affaires et de la coproduction) et Denis Pion (directeur des services administratif et corporatif), ont été congédiés sans aucune explication.
La réaction du milieu cinématographique québécois, plutôt tricoté serré, en dit long sur l’identité des protagonistes à qui le bénéfice du doute est accordé dans cette histoire. La tête dirigeante de Téléfilm est « décapitée », sa mission et sa raison d’être sont « mises en danger », ont fait valoir des dizaines d’organismes représentant la voix des techniciens, des producteurs indépendants, des réalisateurs, des scénaristes et des comédiens.
Le lien de confiance entre Christa Dickenson et le cinéma québécois est fragilisé presque au-delà du point de non-retour. La SODEC doit annoncer dans les prochains jours les projets qui iront de l’avant, et ceux qui seront relégués sous la pile si Téléfilm ne trouve pas une solution. Il serait temps que Mme Dickenson sorte de son mutisme et corrige cet affront au cinéma québécois.
À défaut, l’un des scénarios envisageables est que le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, débloque des fonds d’urgence. Le public québécois n’attendra pas un an en contemplant des écrans noirs parce que des bureaucrates n’ont pas su faire un usage judicieux des fonds publics qui leur étaient confiés.
Il ne faudra pas en rester là. Il fut un temps où le cinéma francophone accaparait près de la moitié du financement de Téléfilm. Aujourd’hui, il doit se contenter du tiers. Le cinéma québécois et ses artisans suscitent pourtant l’admiration et l’envie au Canada et à l’international. Sa part de l’assistance dans les salles de cinéma du Québec était de 13 % en 2017. Le cinéma américain domine nos écrans, un phénomène qui nécessiterait une réflexion en soi, mais vient en deuxième l’attachement pour les films québécois.
L’enjeu est plus grand que celui de la performance au box-office et des statistiques de fréquentation. Le cinéma québécois restera toujours fragile par la taille de notre marché. Sa pertinence n’est pas à démontrer. C’est un miroir de ce que nous sommes, avec toutes nos imperfections, certes, mais avec une voix distinctive qui, depuis peu, s’est enrichie des préoccupations pour l’équité entre hommes et femmes et la diversité. Il n’est pas abusif de demander au ministre qu’il rehausse la proportion récurrente du financement des films en français. Ce serait la conclusion la plus honorable à ce triste épisode au sein de Téléfilm.