Les Hydro-Québécois écopent
Hydro-Québec nage dans des surplus d’électricité et doit les écouler sur les marchés d’exportation. Ce qui pourrait s’avérer une bonne chose pour la société d’État et son actionnaire, le gouvernement du Québec, ne l’est malheureusement pas pour les consommateurs québécois.
Ces surplus sont tellement importants qu’Hydro-Québec a dû déverser en pure perte l’équivalent de 10 TWh en eau non turbinée en 2018. Cela représente près de la totalité de la production des éoliennes au Québec, de 11 TWh, une production qu’Hydro-Québec Distribution, c’est-à-dire les consommateurs québécois, est forcée d’acheter à prix fort.
L’intérêt qu’a manifesté cette semaine le maire de New York, Bill de Blasio, pour l’électricité québécoise est certes une excellente nouvelle pour Hydro-Québec Production. Ce contrat d’approvisionnement à long terme s’ajouterait au projet Northern Pass, qui vise à fournir 9,45 TWh par an au Massachusetts. Que ce soit à New York ou au Massachusetts, l’électricité québécoise est aujourd’hui perçue comme une source d’énergie susceptible d’améliorer le bilan carbone.
Grâce à ces contrats à long terme, qui reposent sur l’érection de nouvelles lignes de transport dont elle aurait l’exclusivité, Hydro-Québec s’assure de pouvoir exporter davantage, puisqu’elle entend continuer à fournir le même volume sur le marché à court terme.
En 2018, Hydro-Québec a exporté un volume record de 36,1 TWh, essentiellement sur le marché à court terme en Nouvelle-Angleterre et dans l’État de New York, soit 17 % de ses ventes totales, mais 23 % de ses bénéfices. C’est 10 TWh de plus qu’il y a quatre ans. Mais les marchés ne sont plus aussi bons qu’avant : les prix obtenus ont chuté, passant de 6,1 ¢ à 4,7 ¢. La société d’État continue toutefois d’engranger des bénéfices avec ses exportations parce que les prix qu’elle obtient restent supérieurs à ses coûts moyens de production.
Le fléchissement des prix sur les marchés d’exportation d’Hydro-Québec est causé par une demande qui a plafonné depuis la crise financière de 2008-2009, notamment en raison d’une forte décroissance de la consommation dans le secteur industriel et d’une offre d’électricité à bas prix venant des centrales s’alimentant au gaz de schiste. Devant cette abondance, les compagnies d’électricité américaines, dont les besoins supplémentaires sont comblés par le marché à court terme, ont peu d’intérêt à signer des contrats à long terme, à moins que l’argument écologique ne vienne à jouer.
Se réjouissant des pourparlers qui s’amorceront avec New York, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, a évoqué la relance du projet d’éoliennes Apuiat sur la Côte-Nord, d’une puissance de 200 MW. Le ministre mélange tout : cette électricité, que paieraient les clients québécois, ne serait pas produite à des fins d’exportation et il est clair qu’Hydro-Québec n’aura pas besoin de cette énergie, ce que son p.-d.g., Éric Martel, a confirmé vendredi. De toute façon, La Romaine-4, avec sa puissance de 245 MW, doit entrer en service dans les prochaines années et viendra gonfler les surplus.
Filiale réglementée dont les tarifs sont fixés par la Régie de l’énergie, Hydro-Québec Distribution affiche des surplus dont elle ne sait que faire, et ce, pour aussi longtemps que s’étendent les prévisions dans les plans stratégiques. La filiale est dans l’obligation d’acheter en priorité l’énergie des éoliennes, de la biomasse et de la petite hydraulique, quitte à laisser sur la table une part de ses approvisionnements en électricité patrimoniale trois fois moins chers. En 2018, elle n’a pas utilisé 14 TWh de cette électricité patrimoniale, à 2,9 ¢, pour les remplacer par de l’énergie qu’elle paie autour de 10 ¢ le kilowattheure. Les consommateurs québécois en font les frais et assument une surcharge de 8 % intégrée à leur facture d’électricité, soit un milliard sur un chiffre d’affaires de 13 milliards en 2018. Autrement dit, les 10 TWh déversés en pure perte l’an dernier ont coûté 750 millions aux consommateurs québécois.
Quand le gouvernement Bouchard a instauré, en 2000, cette notion d’électricité patrimoniale, censée garantir l’accès à un bloc de 165 TWh aux consommateurs québécois, l’énergie éolienne, une source non concurrentielle à l’époque mais qu’on favorisait pour répondre à des impératifs de développement régional, devait servir à combler des besoins au-delà du bloc patrimonial. Or les prévisions de croissance de la demande ne se sont pas matérialisées. Jamais on n’aurait pu imaginer que les consommateurs québécois seraient privés d’une partie de leur électricité patrimoniale et forcés de verser à des producteurs privés trois fois le prix pour une énergie inutile. Il est grand temps de revoir cette politique qui a manifestement déraillé.