Classe moyenne: encore la bonne cible

Des trois grands partis fédéraux, c’est certainement celui de Justin Trudeau qui parle le plus directement à cette classe moyenne, qui regroupe près des deux tiers de la population selon la définition qu’en donne l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le slogan est le même qu’en 2015, répété ad nauseam : « Améliorer le sort de la classe moyenne et de ceux qui travaillent fort pour y accéder. »

Chez les conservateurs d’Andrew Scheer, on en est encore aux amuse-gueule, mais le message est clair : les familles canadiennes sont prises à la gorge par la taxe sur le carbone, qui tue l’emploi et qu’on promet d’abolir à la première occasion.

Le phénomène de la classe moyenne prise comme cible des politiciens n’est pas nouveau, mais il a pris de l’ampleur ces dernières années. Il est même à l’origine de la montée de cette droite populiste qui prétend parler au nom du peuple et vouloir lui redonner la fierté perdue en même temps que la richesse qui lui aurait été confisquée par les méchants gouvernements.

Une belle illusion, certes, qui découle pourtant de problèmes bien réels, que ce soit la perte d’un emploi transféré dans un pays à bas salaires ou la difficulté pour les plus jeunes d’accéder à une certaine stabilité et à un revenu décent.

Dans une étude récente, l’OCDE prévient les gouvernements qu’ils doivent prendre au sérieux le déclin de la classe moyenne dans la plupart des 36 pays membres, dont le Canada. Lors d’un discours prononcé à l’ONU, le secrétaire général de l’organisme, M. Angel Gurría, y est allé d’une mise en garde : « Les gens sont en colère. Ils estiment de ne pas recevoir ce qui leur revient. »

Il faut tout de même nuancer ces propos. Car s’il est juste d’affirmer qu’une plus grande proportion des baby-boomers appartenaient à la classe moyenne canadienne dans leur vingtaine que de millénariaux aujourd’hui (67 % contre 59 %), les chiffres montrent que l’un et l’autre groupes ne consacrent pas plus que leur part des revenus totaux du pays au financement des services publics qu’ils reçoivent. Certains de ces services sont surtout offerts aux plus jeunes (transport en commun, garderie, éducation, etc.), alors que d’autres vont aux aînés (santé, sécurité de la vieillesse, etc.), ce qui laisse la fausse impression de ne pas en avoir pour son argent.

Précisons que la classe moyenne dont il est ici question est un concept purement statistique, défini comme étant l’ensemble des ménages (individus vivant sous un même toit) dont les revenus additionnés se situent entre 75 % et 200 % du revenu médian, soit entre 53 000 $ et 140 000 $ pour le Canada en 2015 (45 000 $ et 120 000 $ pour le Québec).

Pour l’OCDE, qui plaide pour une « croissance inclusive », la classe moyenne « est au coeur d’une société cohésive et prospère ». Tout relatif qu’il soit, le confort auquel aspirent ses membres au prix de beaucoup d’efforts les incite à soutenir la croissance, mais aussi la qualité des services publics. Une société dans laquelle la majorité des citoyens se sent respectée est moins sujette à la corruption, au travail au noir et à d’autres comportements antidémocratiques.

Or, on a assisté, au cours des dernières décennies, à une baisse de la qualité de vie d’une partie de cette classe moyenne. Le prix des logements entre autres a crû trop rapidement, forçant les familles à s’éloigner de leur lieu de travail et à passer de longues heures dans la circulation chaque semaine.

À cause de la quasi-stagnation des revenus, il faut plus de temps aux jeunes ménages pour rejoindre les rangs de leurs aînés. Et pendant ce temps, les plus riches accaparent une part plus grande des revenus de marché et des richesses.

 

Pour tenter de corriger la situation, les gouvernements ont introduit diverses mesures d’aide, mais l’OCDE insiste : il faut faire plus. Qu’on pense à ces fameux paradis fiscaux, que l’on dit vouloir combattre sans trop de conviction. L’aide au logement locatif prend aussi beaucoup de retard dans la plupart des villes où le prix des terrains et des propriétés a explosé depuis dix ans. Et que dire du laisser-faire en matière de tarification des nouveaux services essentiels que sont devenus Internet et la téléphonie cellulaire?

La campagne électorale fédérale est déjà commencée. Restons vigilants pour débusquer ce qui se cache derrière les slogans.

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