Abus de confiance
Cela fait près de deux mois que la crise provoquée par les allégations de pressions indues exercées sur l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould perdure. Ce que quatre démissions n’ont pas réussi à faire, l’enregistrement de sa conversation téléphonique avec le greffier du Conseil privé, à son insu, y est parvenu. Elle n’est plus députée libérale et sa collègue Jane Philpott non plus.
Les deux ministres démissionnaires ont clairement dit qu’elles n’avaient plus confiance en leur chef tout en affirmant vouloir rester au sein d’un parti dont elles partagent les objectifs. Elles ont pourtant continué à alimenter la controverse, faisant très mal à ce même parti et à leur chef à six mois des élections. En toutes autres circonstances et sous un chef plus ferme, elles se seraient fait montrer la porte sur le champ. Inquiet des effets sur ses partisans, le premier ministre Justin Trudeau a longtemps tergiversé.
Oui, les témoignages devant le comité de la justice et les documents déposés montrent que l’ancienne ministre a subi des pressions pour au moins obtenir un avis extérieur sur ce qu’elle était en droit de faire pour amener la directrice des poursuites pénales à réévaluer sa décision de ne pas négocier un accord de réparation avec SNC-Lavalin. Il revient aux juristes de déterminer s’il y a eu atteinte à l’indépendance du processus judiciaire et ils ont suffisamment de matériel pour se prononcer. Le rapport d’enquête du commissaire à l’éthique offrira un éclairage supplémentaire, qu’il serait essentiel d’obtenir ce printemps.
Le débat a toutefois débordé ce cadre, surtout au sein de l’aile parlementaire, qui a perdu patience après la révélation, la semaine dernière, de cet enregistrement subreptice du greffier Michael Wernick. Pour les députés et ministres libéraux, la question était de savoir s’ils pouvaient, eux, faire confiance à une collègue ayant recours à de tels procédés. Si l’ancienne ministre voulait simplement faciliter sa prise de notes, comme elle l’a écrit, elle aurait normalement dû, en tant qu’avocate, en aviser son interlocuteur.
Le tollé dans les rangs libéraux n’a cessé de grandir tout au long de la fin de semaine et le chef n’avait plus le choix pour garder son équipe unie. Le caucus a été réuni d’urgence mardi soir et M. Trudeau a annoncé que les deux anciennes ministres étaient expulsées du caucus et ne pourraient pas être candidates libérales l’automne prochain.
Cette décision est celle du chef, le caucus ne donnant que son avis, et franchement, elle aurait dû être prise plus tôt, comme nous l’écrivions dans nos pages. M. Trudeau ne s’est pas excusé pour ce qu’il a appelé sa patience et son désir de répondre aux préoccupations des deux députées, mais sa lenteur à agir a seulement renforcé l’impression d’un leader indécis.
Il y aura des mécontents, mais c’était la conséquence logique de la perte de confiance des deux anciennes ministres envers le premier ministre et les dommages causés par leurs sorties en cascade. En politique, la solidarité parlementaire est fondamentale et une telle défiance impose de partir ou de se faire mettre dehors pour siéger comme indépendant. Rien n’interdit ensuite de voter en faveur des politiques du parti qu’on dit chérir. Ce qu’a fait leur alliée Celina Caesar-Chavannes.
Il est vrai que cette dernière n’entendait pas se représenter, contrairement à Jane Philpott et Jody Wilson-Raybould, un non-sens quand on ne croit pas au timonier. M. Trudeau s’est retiré une épine du pied, mais tout n’est pas réglé pour autant, car il ignore si, une fois hors du caucus, elles resteront fidèles, comme elles disaient l’être, aux objectifs libéraux. Et il ne sait toujours pas comment SNC-Lavalin traversera la tempête.