Congédiement au MAPAQ: on achève bien les lanceurs d’alerte
Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, a été étroitement mêlé au congédiement du lanceur d’alerte Louis Robert. Le crime de cet agronome du ministère reconnu pour sa compétence et sa probité est d’avoir transmis des preuves au Devoir et à Radio-Canada que la recherche effectuée au Centre de recherche sur les grains (CEROM), bien que financée en grande partie par l’État, était contrôlée par des intérêts privés et que ses chercheurs, qui se penchaient sur les effets néfastes des pesticides néonicotinoïdes, ces tueurs d’abeilles, étaient muselés.
Dans cette affaire, le ministre a commencé par dire que le congédiement était sa décision, puis qu’il l’avait « personnellement autorisé », pour finalement écrire sur sa page Facebook qu’il avait été informé de la décision. Dans notre régime, du point de vue légal, le ministre décide de tout dans son ministère, mais il est tout à fait inhabituel qu’il soit mêlé à une décision administrative touchant le congédiement d’un simple employé. Le sous-ministre n’a peut-être pas voulu que ce soit le ministre qui serve ici de paratonnerre, mais c’est le résultat qu’il a obtenu. Le message qu’envoie le sous-ministre, avec la bénédiction du ministre, c’est que l’administration sera sans pitié envers les fonctionnaires qui, dans l’intérêt public, se feraient lanceurs d’alerte.
L’autre leçon à tirer de cette sanction, c’est que la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, adoptée en 2016 et censée protéger les lanceurs d’alerte, peut se transformer en piège à cons. Comme le prévoit la Loi, l’agronome Louis Robert s’est d’abord adressé au ministère. Mais ce faisant, il s’est révélé comme étant la source probable de la fuite quand, devant l’absence de réaction, il s’est tourné vers les médias. Plutôt que d’en parler au ministère, il aurait mieux fait de transmettre sa dénonciation au Protecteur du citoyen, comme il est aussi prévu.
Il est clair que cette loi a pour effet de mettre le couvercle sur la marmite. Dénoncez, mais que ça reste entre nous, semble-t-on dire. Même quand un fonctionnaire a des motifs de croire qu’un acte répréhensible « présente un risque grave pour la santé et la sécurité d’une personne ou pour l’environnement », comme la Loi l’édicte et comme c’est le cas ici, le lanceur d’alerte doit informer la police avant de communiquer avec les médias ; c’est donc à la police de décider si la dénonciation doit être rendue publique ou non. Bref, cette loi ne protège pas les fonctionnaires qui, dans l’intérêt public, alertent les médias.
Enfin, le fond de l’affaire, c’est que l’industrie des pesticides et les intérêts derrière l’agriculture industrielle forment de puissants lobbies et que, comme partout dans le monde, ils n’hésitent pas à travestir la recherche scientifique. En avalisant ce congédiement, André Lamontagne envoie le message que son ministère est résolument de leur côté et qu’il mène le même combat contre les scientifiques qui se rebiffent.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.