Le Canada et le 5G de Huawei: prudence!

Depuis le début de son bras de fer avec la Chine, Ottawa a résisté à la tentation de lier le dossier d’extradition de la directrice financière du géant chinois Huawei et l’avenir au Canada de la technologie pour les réseaux 5G de Huawei. La Chine, elle, ne s’en est pas privée, ce qui devrait mettre le Canada sur ses gardes.

Déterminée à faire un exemple du Canada et à effrayer les pays enclins à résister à ses volontés, la Chine a répliqué à l’arrestation de Mme Meng, à la suite d’une demande d’extradition des autorités américaines, en s’en prenant à des ressortissants canadiens. Deux sont toujours détenus et soumis à un traitement avoisinant la torture. L’un d’eux est soumis à des interrogatoires qui contreviennent à la Convention de Vienne sur l’immunité diplomatique. Un troisième a vu sa peine de 15 ans de prison pour trafic de stupéfiants remplacée par une condamnation à mort.

Puis sont arrivées la semaine dernière les menaces de répercussions si le Canada exclut Huawei des fournisseurs autorisés des réseaux de communications sans fil de cinquième génération. Pékin a reculé depuis, mais le message n’a trompé personne. En usant de représailles et en proférant des menaces, le gouvernement chinois a implicitement reconnu avoir lui-même intérêt à ce que la technologie de son fleuron industriel soit adoptée à l’étranger.

Huawei est déjà implantée au Canada. BCE et Telus ont utilisé de son matériel pour équiper leurs réseaux de troisième et quatrième générations et ont déjà commencé à faire la même chose pour leurs réseaux 5G. Si le Canada décidait d’imiter les États-Unis, l’Australie et quelques autres pays et interdisait l’utilisation de l’équipement de Huawei pour les réseaux 5G, ce serait un casse-tête pour ces entreprises canadiennes.

Mais voilà, la donne a changé. En 2017, la Chine a adopté une loi qui stipule qu’elle peut obliger les entreprises chinoises, même dites privées comme Huawei, à « coopérer et collaborer » avec ses services de renseignement. Comme le disait récemment au Globe and Mail un ancien directeur du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS), Ward Elcock, « ce n’est pas Huawei qui pose un risque, mais la Chine ».


 

Le gouvernement Trudeau attend toujours l’évaluation des services de renseignement et de sécurité canadiens pour prendre une décision, mais les avertissements et les appels à l’exclusion de Huawei se multiplient. Au moins trois anciens directeurs du SCRS ont dit craindre que la présence de la technologie de Huawei dans les futurs réseaux 5G canadiens donne à la Chine la possibilité de se livrer à de l’espionnage, d’accéder à de l’information sensible ou même de nuire au bon fonctionnement des systèmes.

En octobre, des membres du SCRS, dont le directeur du renseignement Mike Peirce, ont invité à la prudence une quinzaine d’universités ayant des relations étroites avec Huawei dans le domaine de la recherche. L’ex-conseiller de Justin Trudeau en matière de sécurité, Richard Fadden, écrivait dans le Globe cette semaine que cette crise montre que « la Chine est prête à recourir à des mesures extrêmes pour protéger ses intérêts ». Imaginez si elle avait un moyen d’accéder aux réseaux informatiques d’autres pays.

Le régime autoritaire chinois s’est durci sous le président à vie Xi Jinping et son emprise sur les acteurs économiques s’est resserrée. Conscient de son poids, il veut s’imposer sur la scène internationale, mais il ne cherche plus à faire croire qu’il est prêt à se plier aux règles du jeu pour faire son chemin. Son attitude à l’égard du Canada en témoigne.

Mais s’il pensait ainsi faire plier ses vis-à-vis, il a plutôt provoqué un ressac qui pourrait nuire à ses intérêts. Nombre de gouvernements sont maintenant sur leurs gardes et certains, comme celui de l’Allemagne, réévaluent leur ouverture initiale à l’endroit de Huawei. Après tout, cette entreprise n’a pas le monopole de la technologie 5G. D’autres fournisseurs, comme les firmes suédoise Ericsson et finlandaise Nokia, présentes au Canada, sont sur les rangs.

La Chine a empoisonné le puits. La confiance n’est maintenant plus de mise, surtout quand il est question du déploiement d’une infrastructure stratégique comme les réseaux de communication sans fil de cinquième génération. Dans le contexte actuel, le Canada ne peut pas permettre à Huawei d’agir comme fournisseur de ses réseaux 5G.
 

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