Soins aux aînés: le coup de barre

Mieux vaut ne plus calculer le nombre de complaintes lancinantes jouées sur toutes les gammes pour déplorer que les soins aux aînés soient, au Québec, synonymes de manque de ressources et devenus, tragiquement pour tous ceux qui se destinent à un séjour en CHSLD faute de mieux, le reflet triste d’un manque d’humanité… institutionnalisé.

Voilà des décennies que les médias reprennent le refrain des soins de base non prodigués aux aînés, des conditions dégradantes dans lesquelles le troisième âge coule ses dernières années, totalement dépourvues de la douceur sereine espérée en fin de vie. Les dernières révélations fournies la semaine dernière par le réseau TVA — dans un CHSLD de Laval, des cas de maltraitance auraient placé les bénéficiaires et leur famille dans des conditions inacceptables — ont indigné la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais. « Ça n’a pas de sens ! », martèle-t-elle.

Aucun sens ne réside dans ces récits d’horreur. Mais c’est surtout dans leur reprise constante que le contresens le plus odieux se joue.


 

L’histoire se souvient-elle du cas malheureux du CHSLD Saint-Charles-Borromée, à Montréal ? Dans les années 1990, une action collective avait été intentée contre cette résidence précisément pour dénoncer des cas de négligence dans les soins de santé, d’hygiène, de prise de médicaments et d’alimentation. Refrain connu ?

Depuis, à combien de prises de conscience collective avons-nous eu droit, sur le thème de l’inacceptable et du jamais plus ? Le Vérificateur général a déjà conçu des chapitres entiers sur le manque de ressources dans les services destinés aux personnes âgées. Le Protecteur du citoyen, dans son dernier rapport annuel d’activités, a souligné des errements menant à une situation qui « s’apparente à de la maltraitance ». La Commission des droits de la personne s’est maintes fois prononcée sur les droits bafoués du troisième âge. Une requête d’action collective déposée en juillet dernier par le Conseil pour la protection des malades vise la dénonciation de tous les traitements inacceptables soufferts dans l’anonymat et la peur.

Nous avons d’ailleurs désormais une Loi visant à contrer la maltraitance envers les aînés — dont tout un pan concerne la négligence. Les constats entourant les trous béants dans les soins à domicile et le soutien aux proches aidants sont connus. Le diagnostic est établi, les lois existent — même si elles pourraient gagner encore en mordant. La ministre en poste, Marguerite Blais, est non seulement convaincue, compétente et déterminée, mais elle dispose d’un atout précieux : un premier ministre qui a fait de l’amélioration des conditions de vie des aînés sa troisième priorité après l’éducation et l’économie. Que nous faut-il encore ?


 

Du personnel. Des infirmières, des préposés aux bénéficiaires. Des conditions de travail alléchantes. De la souplesse dans l’alliage formation-travail. On avait beau avoir prédit depuis longtemps les effets du vieillissement de la population et de la pénurie de main-d’oeuvre, voilà que dans le champ des soins de santé et des services sociaux, ces deux prédictions frappent simultanément, ne laissant place à rien d’autre qu’au chaos. Des syndicats parlent désormais de « maltraitance organisationnelle » ; des établissements pondent des directives prévoyant l’impossibilité de donner un bain par semaine, de changer une couche d’incontinence au moment où cela devrait être fait. La pénurie de personnel a donné lieu à une forme d’abandon de l’essentiel désormais institutionnalisé. Le tout en totale contravention aux lois en place.

Notre journaliste Isabelle Porter rapportait la semaine dernière l’immense difficulté de recrutement de personnel dans les CHSLD, notamment chez les préposés aux bénéficiaires. Un retard de 1000 préposés dans les 13 CIUSSS et CISSS du Québec qui ont répondu à l’appel du Devoir (sur 23) traduit bien les obstacles auxquels se heurtent les établissements dans leur recherche d’employés. D’heureuses initiatives ont montré que le rapprochement entre les centres de formation et les établissements fonctionne. La prochaine négociation devra inévitablement compter sur l’amélioration des conditions de travail.

Les pénuries de personnel n’expliquent pas tout, et l’organisation des soins et services doit aussi être revue, en accord avec l’urgence de la situation, même s’il faut enclencher un changement de culture. Une chose est certaine : il n’est socialement plus possible de sacrifier tout un pan de la population à la détresse et au désenchantement.
 

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Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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