Combattre la pauvreté: plus qu’un chiffre
Le gouvernement fédéral a finalement présenté mardi un projet de loi donnant davantage forme à sa stratégie de lutte contre la pauvreté. L’effort depuis longtemps attendu reste cependant trop limité et la définition du « seuil officiel de pauvreté » proposée est beaucoup trop étroite.
Il serait difficile de mettre en doute la bonne volonté du parrain du projet de loi C-87, le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos. Cet économiste a consacré sa carrière universitaire à étudier les inégalités économiques et la pauvreté. Il invoque ses convictions, mais est-il satisfait ?
C-87 crée un conseil consultatif sur la pauvreté qui aura pour mandat de surveiller les progrès accomplis, ce qui est positif, et, fait important, l’étalon de mesure est inscrit dans le projet de loi. Ce dernier fixe des objectifs de réduction de la pauvreté inspirés de ceux des Nations unies, soit une baisse, d’ici deux ans, de 20 % et, d’ici 2030, de 50 % du taux de pauvreté observé en 2015.
Mais que mesurera-t-on exactement ? Ce volet du projet de loi suscite déjà la critique, car la définition de la pauvreté n’est pas un enjeu anodin. Il est hautement politique car, selon la mesure choisie, on aboutit à un taux plus ou moins élevé, ce qui influence les politiques à mettre en oeuvre.
Oublions le seuil de faible revenu, que seul le Canada utilise, mais de moins en moins. L’outil le plus répandu dans le monde est la mesure du faible revenu (MFR), qui calcule le taux de pauvreté à partir du revenu médian. Si une personne gagne moitié moins, elle est considérée comme étant à faible revenu. Il y a aussi la mesure du panier de consommation (MPC), qui estime le revenu nécessaire pour se procurer les biens nécessaires à une « vie modeste » dans une région donnée. Cette mesure est collée aux besoins essentiels, mais aboutit à des taux inférieurs de pauvreté.
Or, c’est le MPC qu’a retenu le gouvernement dans son projet de loi, ce que déplorent des groupes comme le Collectif pour un Québec sans pauvreté. M. Duclos se défend d’avoir voulu diminuer artificiellement les taux de pauvreté puisque cibles et taux de référence ont été calculés selon la même méthode.
Le ministre aurait toutefois dû faire preuve de plus d’imagination et s’inspirer d’une suggestion faite par le politologue Alain Noël il y a un an dans la revue Options politiques. Il aurait dû retenir « la MPC pour suivre l’évolution des revenus du point de vue des besoins essentiels et la MFR pour tenir compte des personnes dont le revenu se situe sous le revenu médian et pour permettre les comparaisons internationales ». M. Duclos pourrait même aller plus loin et moduler ces formules pour tenir compte des aspects non chiffrés de la pauvreté, comme la piètre qualité des biens et logements dont les pauvres doivent se satisfaire.
Avec la création de l’Allocation pour enfants, l’augmentation du Supplément de revenu garanti et la création de l’Allocation pour les travailleurs, le gouvernement Trudeau a permis à des milliers de Canadiens de sortir de la pauvreté. Les intentions de sa stratégie publiée cet été sont les bonnes. Le projet de loi marque aussi un progrès avec ses cibles et son mécanisme de surveillance.
Mais il manque toujours un gros morceau : un plan concret, chiffré et assorti d’un échéancier. À cet égard, on est bien loin du Québec qui s’est doté, dès 2002, d’une loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et qui depuis multiplie les plans d’action.
Si « le Canada souhaite être un chef de file mondial en matière d’élimination de la pauvreté », comme le prétend le projet de loi, Ottawa doit mieux mesurer la pauvreté et dévoiler dès que possible ce qu’il fera de plus pour la faire reculer.
Une version précédente de cet article, qui attribuait une citation à André Noël, a été corrigée.