La fanfare des espoirs

En campagne électorale, la fanfare des espoirs résonne et impose le rythme. La promesse électorale a d’immenses vertus : elle peut transformer une réalité sociale un tantinet morose en un rêve accessible. Ce sont les règles du jeu. Aux électeurs de faire le tri, mais gare aux lunettes roses. Un certain réalisme et un brin de lucidité sont de mise.

L’éducation, par exemple, s’est vu donner invariablement le titre de « priorité » au gré des récentes élections, et celle-ci n’est pas en reste. Concept en apparence peu obscur — car tout le monde a forcément une opinion sur l’école, y ayant cheminé ou fait cheminer des enfants —, le thème de l’éducation a ceci de formidable qu’il rime avec construction sociale du Québec de demain, fabrication d’une économie solide et promesse d’une société en santé. On peut difficilement trouver meilleure carte de séduction.

L’enjeu de l’éducation est d’une importance cruciale ; mais l’est tout autant celui de présenter une véritable vision, du préscolaire au postdoctorat, sans succomber aux recettes faciles, qui ont déjà commencé à faire les nouvelles. Nous cherchons en vain, dans la lecture des programmes, cette vision constructive alliant autour de l’école justice sociale et économie du savoir.

Les maux de l’école sont connus. Le PLQ et le PQ — avec, jadis, un certain François Legault en maître de l’Éducation — ont tous deux en leur temps présidé aux destinées du Québec et présenté stratégies nationales, plans d’action et de réussite autour de certains problèmes récurrents : le taux de décrochage (63 %, le pire au Canada, selon un récent rapport de l’Institut du Québec) ; la réussite brinquebalante des garçons, phénomène associé au Québec ; l’augmentation affolante du nombre d’élèves en difficulté et leur présence à tous les niveaux d’étude, enseignement supérieur compris ; la pénurie et l’épuisement des enseignants, et l’incapacité du système de s’attaquer à la source au problème de formation des maîtres ; la détérioration des infrastructures ; la stagnation des taux de diplomation au cégep et à l’université. Alouette !

De passage au Devoir cette semaine, le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, a lancé ni plus ni moins qu’un cri du coeur en nommant l’indifférence dans laquelle son réseau collégial semble flotter depuis quelque temps. Bien sûr, on n’entend plus d’agitateur pour réclamer la disparition des cégeps, un refrain qui fut pourtant déjà à la mode, mais les collèges ne croyaient pas pour autant sombrer dans l’oubli complet. C’est à cor et à cri qu’ils réclament désormais une « stratégie nationale » pour briser — l’oubli ? le mépris ? — l’apathie dans laquelle les 48 collèges du Québec stagnent désormais, constatant qu’il n’y en a dans les discours politiques que pour « l’école des tout-petits », sans plus d’égards pour le reste du réseau. L’éducation est « tenue pour acquise », dit Bernard Tremblay. On ne sent plus l’« urgence ».

Cette dissonance entre l’appel du terrain et le chant politique est troublante. En réclamant une stratégie, c’est à une vision d’ensemble que les cégeps en appellent, rappelant avec nostalgie l’époque de feu Paul Gérin-Lajoie, où tout était à inventer, mais où on avait pris le temps, cette denrée rare, de réfléchir au portrait d’ensemble avant de se lancer dans les actions.

Écoles, cégeps et universités savent bien en outre qu’avec le changement de garde à venir, c’est un nouveau ministre qui fera son entrée — avec peut-être le retour d’un seul titulaire au ministère pour mener l’école primaire et secondaire et l’enseignement supérieur. Et avec cette nouvelle tête, des structures à revoir, des réformes possibles à enclencher, des troupes à stimuler, des ressources à engager. En éducation, comme en santé d’ailleurs, certaines réformes sont associées à un souvenir douloureux et ont érodé la motivation des effectifs.

C’est donc un certain courage qu’il faut appeler en cette période électorale pour que le prochain gouvernement s’attaque, avec une vision d’ensemble, aux maux de la base, qui tirent le Québec vers le bas : 19 % des Québécois sont analphabètes, la pauvreté est un facteur clé du décrochage, l’enseignement n’a pas la cote. Ce socle de morosité ne peut être négligé au profit de mesures bonbons.

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