Jeu en ligne: l'inaction fédérale

Le Procureur général du Québec vient de subir un cuisant revers en Cour supérieure. L’État québécois n’a pas le droit d’obliger les fournisseurs de services Internet — les Vidéotron et Bell de ce monde — à bloquer les sites de jeu en ligne qui, illégalement, peut-on soutenir, font concurrence à Loto-Québec.

Dans sa décision de 29 pages, le juge Pierre Nollet conclut que la disposition qui est contenue dans la loi omnibus sur le budget, adoptée en 2016, et qui soumet les fournisseurs à cette obligation, empiète carrément sur des compétences exclusives du gouvernement fédéral, soit le Code criminel et les télécommunications. Le juge donnait ainsi raison à l’Association canadienne des télécommunications sans fil.

Il faut comprendre que le gouvernement québécois était bien conscient qu’il s’aventurait sur un terrain miné sur le plan juridique, puisqu’il n’avait pas mis en vigueur la disposition litigieuse, le temps que le Tribunal se prononce sur sa validité constitutionnelle.

Selon Loto-Québec, le jeu en ligne représente une manne de 250 millions par an. La société d’État occupe à peine 20 % de ce marché.

L’objectif ultime de l’article de loi, qui modifie la Loi sur la protection du consommateur, une compétence du Québec, n’était pas d’assurer l’exercice par Loto-Québec d’un monopole sur les jeux en ligne, mais plutôt de forcer les exploitants privés à s’inscrire auprès d’elle et à s’afficher sur son site Espacejeux. Ainsi la société d’État aurait pu toucher des redevances sur cette activité et imposer des règles de conduite pour limiter le jeu excessif.

Le Code criminel stipule que, sauf exception, toutes formes de loterie et de jeux de hasard et d’argent constituent des actes criminels. Et les exceptions ne concernent que les provinces qui, elles, ont seules le droit d’exploiter une loterie, qu’elle soit en ligne ou non, ou, accessoirement, d’accorder des licences pour ce faire à des organismes de charité ou religieux. Malgré tout, en 2010, les Québécois avaient accès à quelque 2000 sites de jeux de hasard et d’argent en ligne, selon le ministère des Finances du Québec, cité dans le rapport du Groupe de travail sur le jeu en ligne. Présidé par Louise Nadeau, le groupe a remis son rapport en octobre 2014.

Comment se fait-il que les sites privés de jeu en ligne prolifèrent au Québec, comme dans les autres provinces ? C’est que bon nombre d’exploitants, qui mènent leurs activités présumées illégales ici, sont établis dans des pays où elles sont parfaitement légales. En outre, plus de 70 sites de jeu en ligne sont hébergés au Québec, sur le territoire mohawk de Kahnawake.

La formulation du Code criminel relative au jeu en ligne pèche par son ambiguïté, ce qu’un comité sénatorial relevait déjà en 2008. Les sénateurs avaient souligné la nécessité de clarifier le statut légal de l’offre de jeu en ligne à partir de l’étranger, rappelle le rapport.

Certes, le Procureur général du Québec peut toujours en appeler du jugement, mais les conclusions du juge apparaissent solides sur le plan constitutionnel. Ce ne serait sans doute que perte de temps. De plus, à la suite du dépôt du projet de loi, l’Union des consommateurs, notamment, était montée au front pour le dénoncer comme une menace à la neutralité d’Internet, un principe garanti par les autorités fédérales.

Selon le Groupe de travail, la solution pour mieux encadrer le jeu en ligne est celle qui est appliquée dans nombre de pays, dont le Danemark, l’Italie et le Royaume-Uni, ainsi que dans trois États américains : un système de licences administré par une agence de réglementation.

Loto-Québec ne peut concurrencer des exploitants internationaux dont les jeux transgressent les frontières — souvent, les joueurs de différents pays interagissent — et qui font preuve d’une capacité d’innovation qui la dépasse. Cela dit, la population doit bénéficier d’une protection contre les abus, l’honnêteté des exploitants doit être assurée, et le jeu excessif ou pathologique doit être contré.

Le groupe de travail a recommandé à Québec de mettre en place « un système qui permet la création et l’encadrement d’un marché ouvert du jeu en ligne ». C’est la voie à suivre.

Or, le Code criminel ne permet pas à l’État québécois de délivrer des licences à des exploitants privés de jeu en ligne. Puisque ce sont les provinces qui sont responsables des jeux de hasard et d’argent, le gouvernement fédéral doit leur donner les moyens d’encadrer le secteur.

Ottawa tolère depuis belle lurette l’ambiguïté du Code criminel relativement au jeu en ligne. Devant tout ce qui touche Internet, l’immobilisme lui sert de politique. Ses compétences exclusives sont confirmées : que le gouvernement fédéral assume ses responsabilités et agisse.

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