Réforme Barrette: redressement nécessaire
La réforme Barrette a donné certains résultats. Ainsi, le pourcentage de Québécois qui n’ont pas de médecin de famille a diminué. Selon les dernières données, tout près de 80 % de la population a accès à un omnipraticien, tandis qu’il y a quatre ans, cette proportion ne dépassait pas 70 %. La cible fixée par le ministre de la Santé, de 85 %, n’a toutefois pas été atteinte, du moins dans la majorité des régions du Québec.
Comme le rapportait Le Devoir la semaine dernière, l’accès à un médecin de famille s’est amélioré, mais il varie d’une région à l’autre. Ainsi, sur 93 réseaux locaux de service (RLS), 43 ont atteint ou même dépassé l’objectif, alors qu’ils n’étaient que 9 à y arriver en 2014. C’est un progrès significatif, quoiqu’il repose sur une donnée purement quantitative, soit le taux d’inscription à un groupe de médecine familiale (GMF). En outre, l’objectif de 85 % se compare à un taux d’accès qui dépasse 90 % en Ontario.
En ce qui a trait au temps d’attente pour une chirurgie dite élective, là encore l’objectif fixé par le ministre n’a pas été atteint, mais le gouvernement Couillard se targue de certaines améliorations. Or la vérificatrice générale estime que les données du ministère à cet égard ne sont pas fiables.
Dans les urgences, une dernière recension effectuée par La Presse indique que la durée moyenne de séjour y a diminué de près de deux heures en 2017-2018, pour se situer à un peu moins de 14 heures. Il y a quatre ans, elle était de près de 17 heures. Mais on est encore en deçà de la cible de 12 heures fixée par Gaétan Barrette, une cible dont on ne peut pas dire qu’elle est des plus ambitieuses.
Ce serait une erreur de lier ces améliorations à la hausse de la rémunération des médecins, qui a plus que doublé en 13 ans, ce qui représente un débours supplémentaire pour l’État de quelque 4 milliards par an. Selon une étude signée, notamment, par le chercheur Damien Contandriopoulos et financée par le Commissaire à la santé et au bien-être — un poste que le ministre, qui ne souffre pas la contradiction, a aboli mais que le gouvernement Couillard a rétabli discrètement en mai dernier —, l’opulente rémunération accordée aux médecins n’a aucunement profité aux patients. En dix ans, le nombre moyen de visites de patients par médecin omnipraticien a chuté de 17 % et de 12 % chez les médecins spécialistes ; le nombre d’heures travaillées a également diminué. L’effectif médical s’est toutefois accru de 17 % en dix ans, ce qui a permis de combler ce recul. Bref, l’État paie davantage pour des médecins qui disposent de plus de temps libre.
Puisqu’il existe un tel concept que le coût d’opportunité, on peut se demander quels résultats on aurait pu obtenir si les milliards consentis aux médecins — ou une partie de cette somme — avaient été consacrés à d’autres postes budgétaires du système de santé. Les seules améliorations, et elles sont somme toute modestes, dont peut se vanter Gaétan Barrette se rapportent au complexe médicalo-hospitalier.
Ainsi, les soins et l’aide à domicile pour les personnes âgées, ou encore pour les enfants handicapés, demeurent largement sous-financés. Il n’y a pas d’argent à faire pour les médecins dans ce domaine. Si des centaines de millions de dollars de plus avaient été réservés aux soins à domicile, il est clair que l’investissement aurait contribué à désengorger les urgences.
La situation ne s’est aucunement améliorée — d’aucuns soutiennent qu’elle s’est dégradée — dans un autre secteur où l’essentiel des soins ne relève pas des médecins, celui des centres d’hébergement et de soins de longue durée. Les soins que requièrent les personnes âgées en CHSLD sont plus lourds qu’auparavant, sans que les budgets aient été relevés en conséquence. Il y a deux semaines, le Conseil pour la protection des malades (CPM) a demandé à la Cour supérieure d’accueillir une demande en action collective contre l’ensemble des CHSLD du Québec au nom des 37 000 personnes âgées et malades qu’ils abritent. Dans la requête, les conditions de vie y sont qualifiées de « dégradantes » et la qualité des soins, d’« inadéquate, insuffisante et déficiente ». Les employés sont décrits comme étant « surchargés et épuisés », ce qui conduit à une forme de « maltraitance ».
C’est sans parler de la centralisation excessive du réseau, de l’affaiblissement des CLSC au profit des GMF privés contrôlés par des médecins qui n’ont pas d’expertise en services sociaux, du sous-financement des centres jeunesse et des centres de réadaptation. La liste est longue. Les libéraux auraient tort de tabler sur la réforme Barrette pour se faire réélire. C’est plutôt d’un redressement majeur que le réseau de la santé a besoin.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.