Haïti: la rage au coeur

« La goutte d’eau qui a fait déborder le vase », disait mardi dans nos pages le professeur Roromme Chantal, de l’Université de Moncton. Le fait est qu’Haïti est en état de crise politique, sociale et économique permanente et que la catastrophe humanitaire sans fin dans laquelle se trouve sa population passe généralement inaperçue. Si donc la colère exprimée ces derniers jours par la rue haïtienne contre les élites déconnectées a surpris par son ampleur, il ne faut pas pour autant s’étonner que la décision du gouvernement, tenu en laisse par le FMI, de cesser de subventionner l’essence, le diesel et le kérosène ait déclenché un tollé.

Crise politique : Jovenel Moïse, homme d’affaires et ex-pdg de zone franche, a été élu président fin 2016 à l’issue d’un processus électoral bancal, avec taux de participation d’à peine plus de 20 %. Légitimité ? Inexistante, si ce n’est qu’aux yeux de la « communauté internationale » — les États-Unis, le Canada, la France. Sa « victoire » est le fruit d’une sinistre farce électorale caractéristique de la « transition démocratique » inaugurée avec l’éviction du pouvoir de Jean-Bertrand Aristide en février 2004 avec la bénédiction de ladite communauté internationale. Qu’en l’occurrence, le premier ministre Jack Guy Lafontant soit démis par le Parlement aux fins de porter le chapeau de bouc émissaire n’y changera rien. Le désordre politique ne s’en trouvera tout simplement qu’amplifier.

Crise sociale et économique : d’un ouragan à l’autre, Haïti n’est jamais arrivé à se relever du tremblement de terre de janvier 2010 qui a fait plus de 200 000 morts et 1,5 million de sans-abri. Six Haïtiens sur dix vivent sous le seuil de pauvreté. À chaque catastrophe naturelle, sa menace d’épidémie de choléra.

Avec le résultat que, sur fond de corruption et de dysfonctionnement politique, les Haïtiens vivent dans un état d’insécurité alimentaire généralisée, suivant un modèle néolibéral qui mesure le développement à la croissance du tourisme, de l’exploitation minière et du nombre de zones franches. Ce qui n’est pas loin de revenir à prétendre améliorer le sort de la population en transformant le pays en atelier de misère. C’est un modèle, en tout cas, qui détruit le monde agricole — avec, à la clé, dumping de riz et de cacahuètes américains subventionnés.

« En Haïti, nous n’avons plus la maîtrise de notre pays », affirmait dans une entrevue l’écrivain Lyonel Trouillot. Un pays accablé, certes, mais porté par un peuple qui ne renonce pas à relever la tête.

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