Réforme nécessaire pour les réfugiés

Les images sont chaque fois saisissantes : des adultes avec leurs enfants en poupe traînent leurs maigres possessions vers un passage non gardé de la frontière canadienne, en particulier près de Lacolle au Québec. La GRC y est pour les avertir qu’ils seront détenus le temps de procéder à des vérifications de sécurité et que leur demande d’asile, si elle est refusée, conduira à leur expulsion.

Rien n’y fait. Ils sont des milliers à être entrés au pays de façon irrégulière depuis plus d’un an afin d’éviter le refus automatique que le poste-frontière est tenu de leur servir en vertu de l’accord canado-américain sur les tiers pays sûrs. Le flot n’est pas près de se tarir puisque le gouvernement du président américain, Donald Trump, prévoit de retirer la protection temporaire accordée à d’autres groupes de migrants vivant légalement aux États-Unis.

Cet afflux a créé une pression quasi intenable sur les organismes d’aide, mais aussi sur le système canadien de reconnaissance du statut de réfugié dont les ressources insuffisantes, la lourdeur et la complexité ont été mises en relief.

Le système canadien a pourtant fait ses preuves depuis 30 ans, que ce soit en matière d’évaluation professionnelle des demandes d’asile, d’équité procédurale ou de respect des droits de la personne. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de ratés, parfois importants, mais il demeure un modèle. Son plus grand problème a toujours été son incapacité à faire face aux afflux soudains qui se transforment en importants arriérés de demandes qu’on prend des années à effacer, avec les retards qui s’ensuivent.

Et c’est toute la chaîne qui écope, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), qui évalue les demandes, à l’Agence des services frontaliers, qui gère la frontière, en passant par la GRC, qui assure les vérifications de sécurité, et le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, qui offre les programmes d’aide et de santé.

Le coeur de cet écheveau demeure cependant la CISR, ou plus précisément sa Section de protection des réfugiés (SPR). C’est là que le besoin de protection contre la persécution politique, religieuse, sexuelle ou autre est évalué. Ces décisions ont une valeur juridique et portent sur des droits fondamentaux, ce qui explique pourquoi la CISR est un organisme quasi judiciaire indépendant.

Elle n’a malheureusement jamais eu à sa disposition un fonds de prévoyance pour répondre rapidement à ces flambées épisodiques de requêtes. Celle de 2017, avec ses 47 000 demandes, n’est pas la première. En 2009, la CISR en a reçu presque 36 000. Durant les années 2000, 2001, 2002 et 2003, elle en a reçu respectivement 36 355, 47 823, 43 526 et 36 171. Presque 164 000 en quatre ans.


  

Dans un rapport d’examen indépendant de la CISR rendu public cette semaine, l’ancien sous-ministre Neil Yeates recommande de simplifier la gestion du système afin de le rendre plus efficace et productif. Il suggère entre autres la création de ce fonds de prévoyance.

Cette recommandation et plusieurs autres méritent d’être retenues, mais le gouvernement doit s’assurer que les suggestions retenues servent, au-delà de l’efficacité recherchée, l’équité procédurale qui fait la renommée de notre système. Par conséquent, il ne doit pas céder à la tentation de mettre fin à l’indépendance de la CISR, comme le suppose un des deux scénarios soumis par M. Yeates.

Lors de sa dernière visite au Canada, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a d’ailleurs insisté sur cette nécessaire indépendance. Ayant eu vent du contenu du rapport à la fin mai, plusieurs organismes de défense des réfugiés se sont empressés de lui faire écho dans une lettre envoyée au ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen.

Ce n’est pas pour rien. À travers les lois sur l’immigration, les acteurs politiques ont fréquemment imposé des contraintes administratives à la Commission. Ils n’ont jamais pu cependant lui imposer de conclusions quant aux ressortissants de certains pays dans le but de servir des priorités politiques, partisanes, diplomatiques ou autres. Cela doit demeurer la norme, car il est question de gens vulnérables dont la vie ou la sécurité peut être en péril dans leur pays d’origine. Une erreur ici n’est pas qu’administrative, elle peut être fatale. Le souci de justice doit rester la considération première.

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