Phénix, autochtones, pont Champlain… Changer de culture
Le rapport du Vérificateur général rendu public mardi est catégorique. Même si le gouvernement met en oeuvre toutes ses recommandations, il ne pourra prévenir la répétition d'« échecs incompréhensibles » comme ceux mis en relief dans les dossiers autochtone, du système de paie Phénix ou du pont Champlain. Pour y parvenir, il devra changer la culture de la fonction publique.
Le vérificateur général Michael Ferguson terminait à peine sa conférence de presse que libéraux et conservateurs se précipitaient au micro pour se jeter mutuellement la faute pour l’incurie exposée dans son rapport. À croire qu’ils n’avaient pas lu son message d’introduction. « Ce qu’il faut savoir à propos de ces deux échecs incompréhensibles et très différents — Phénix et les programmes pour les autochtones —, c’est qu’ils ont été transmis de gouvernement en gouvernement. » Et dans le cas de Phénix, les gouvernements précédent et actuel figurent dans sa liste de ceux qui doivent rendre des comptes.
Malgré cela, il nous prévient : « Même si le gouvernement donne des suites concrètes aux recommandations faites dans notre rapport […], tout cela ne fera rien pour empêcher un autre échec incompréhensible. » Le « meilleur espoir » pour l’éviter, dit-il, « repose sur un changement de culture du gouvernement fédéral ».
Cette culture, poursuit-il, « a engendré une fonction publique docile qui craint les erreurs et les risques. Sa capacité à exprimer les vérités difficiles s’est amoindrie, et la volonté des cadres supérieurs de les entendre s’est aussi érodée. Cette culture cause les échecs incompréhensibles que la fonction publique cherche justement à éviter ».
Ce problème systémique n’est pas nouveau ni unique au Canada. Il est le résultat d’un long processus de dénigrement de la fonction publique et du rôle du gouvernement qui s’est accentué dans les années 1980 avec la montée de la pensée conservatrice défendue par Ronald Reagan, Margaret Thatcher et, dans une moindre mesure, Brian Mulroney. Leurs héritiers politiques, partisans d’un gouvernement réduit, sont demeurés méfiants face à la bureaucratie.
Dans un système de type britannique comme le nôtre, il existe toujours une tension entre le gouvernement élu et la fonction publique. Le premier défend le voeu de la population, la seconde offre des conseils non partisans, y compris ceux que le gouvernement du jour ne veut pas entendre, afin d’en arriver aux meilleures solutions. C’est cet équilibre qui a été fragilisé et même rompu au cours des derniers 40 ans. Sous les libéraux de Jean Chrétien, il a été un peu rétabli, mais le déséquilibre s’est accentué plus que jamais sous les conservateurs de Stephen Harper. Dix ans d’un régime marqué par la peur et l’intimidation, aux dires de beaucoup de fonctionnaires, ont laissé des traces profondes.
Les libéraux de Justin Trudeau ont bien posé quelques gestes pour rectifier le tir. Les scientifiques ont retrouvé voix au chapitre, certains processus administratifs ont été remis en place, l’audace dans certains dossiers est récompensée, mais la méfiance n’est pas complètement disparue. En témoignent tous ces comités externes pour conseiller le gouvernement sur une foule de politiques publiques, un rôle normalement dévolu aux fonctionnaires. Les libéraux n’échappent pas non plus à une autre source du problème : l’obsession des politiciens pour les succès à court terme, la gestion du message et de l’image.
Changer cette culture prendra du temps, mais encore faut-il en avoir la volonté. Or, selon M. Ferguson, il y a « urgence ». Malheureusement, à voir les partis s’accuser à tour de rôle de tous les maux, il est à craindre que les citoyens subissent encore longtemps les conséquences parfois dévastatrices de ces « échecs incompréhensibles ».