Colombie: occasion de progrès
On aurait pu penser qu’au terme d’une guerre civile qui a fait, en 52 ans, 260 000 morts et six millions de déplacés, l’accord de paix conclu en 2016 en Colombie rallierait assez facilement l’adhésion de la majorité des Colombiens. C’est tout le contraire qui se produit depuis la conclusion de cet accord historique entre les FARC et le gouvernement du président sortant Juan Manuel Santos.
Il y a d’abord eu le référendum à faible participation du 2 octobre 2016 où, contre toute attente, les opposants à l’accord emmené par le leader de la droite dure Alvaro Uribe l’avaient emporté d’extrême justesse par 50,2 %. Moyennant un certain nombre de concessions, le président Santos était allé de l’avant en signant l’accord le mois suivant avec la guérilla, malgré la persistante opposition du camp du non.
Les résultats du premier tour de la présidentielle de dimanche dernier constituent un autre coup de boutoir à un arrangement qui représente pourtant un instrument essentiel à la consolidation de la paix en Colombie. Opposé à l’accord dans sa forme actuelle, c’est le jeune dauphin d’Uribe, Ivan Duque (41 ans), soutenu par les Églises évangéliques, qui est arrivé en tête avec 39,14 % des voix, contre le candidat de la gauche Gustavo Petro (25 %), ex-maire de Bogota et leader du clan propaix.
Plusieurs causes expliquent cette dynamique : l’impopularité de M. Santos, qui, obtenant le Nobel de la paix pour son accord avec les FARC, n’aura cependant pas su relancer l’économie sous sa présidence ; la menace martelée par la droite du « castro-chavisme » devant l’intégration des guérilleros à la vie politique ; le sentiment mal informé chez les Colombiens que la guérilla a été dans l’histoire la principale instigatrice de la violence, alors qu’en réalité, les responsables en furent avant tout l’État et les organisations paramilitaires.
C’est ainsi que M. Duque défend l’idée d’une « Colombie où la paix coïncide avec la justice », voulant dire par là qu’il s’oppose vivement aux dispositions de l’accord qui permettent aux guérilleros d’éviter la prison à partir du moment où ils admettent leurs crimes. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’en 2005, l’accord de démobilisation des organisations paramilitaires avait prévu des mécanismes de clémence plus généreux encore que ceux accordés aux FARC…
En ce pays marqué à droite, il reste que la performance de M. Petro a surpris. Le fait est, de plus, que la gauche s’est divisée au premier tour entre les votes de M. Petro et ceux obtenus par le plus centriste Sergio Fajardo, ancien maire de Medellín. Ensemble, ils ont totalisé plus de la moitié des voix. Qu’ils s’allient et l’on pourra peut-être donc dire au lendemain du second tour du 17 juin que M. Duque était l’arbre qui cachait la forêt. Sa victoire n’est pas une fatalité.