Israël: sous l’emprise des faucons

Le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, c’est une autre nakba, un autre clou dans le cercueil de l’idée même d’une solution de paix au conflit israélo-palestinien.

L'image qui vaut mille mots, c’est celle d’Ivanka Trump et de son sourire indécent lors des cérémonies de déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, pendant qu’à moins de 100 kilomètres de là, la répression des manifestations palestiniennes faisait 60 morts aux mains de l’armée israélienne. Ce sourire et ce déménagement encapsulent l’état d’impunité dans lequel baigne aujourd’hui le gouvernement israélien. Israël s’est-il jamais senti plus libre de nier les droits du peuple palestinien ?

Il n’empêche que, pour les plus mauvaises raisons, la décision du président Trump renvoie à la centralité de la cause palestinienne dans l’histoire du Proche-Orient. Une centralité essentielle qu’on a eu tendance à oublier derrière la montée du groupe État islamique et les guerres en Irak et en Syrie. Rien pourtant ne peut être durablement apaisé à l’échelle régionale sans solution négociée et satisfaisante au conflit israélo-palestinien.

En Cisjordanie et à Gaza, le transfert de l’ambassade américaine est nécessairement vécu comme une usurpation, une nouvelle nakba, en quelque sorte, après celle qui a vu 700 000 Palestiniens chassés de leurs terres et de leurs villages lors de la création d’Israël en 1948. Que, par leur décision, les États-Unis confortent aujourd’hui Israël dans son appropriation de Jérusalem n’est pourtant que le dernier chapitre en date, bien que le plus insupportable, d’un long processus de confiscation juive des territoires palestiniens, appliqué au nez et à la barbe d’une communauté internationale qui, critiquant en certains quartiers la politique de colonisation, a toujours fini par laisser faire.

Le transfert de l’ambassade américaine aurait dû se faire au terme d’une négociation de paix par laquelle Jérusalem serait devenue la capitale partagée par l’État israélien et le nouvel État palestinien. En lieu et place, ce déménagement est le résultat atroce, pour ne pas dire haineux, du mariage de l’extrême droite juive et des ultraconservateurs évangéliques américains qui, ne sachant rien faire d’autre que de voter pour les républicains, ont contribué à l’élection de Donald Trump l’année dernière. Il est le résultat d’un vol de faucons.


 

Dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, les trois quarts des 1,8 million d'habitants ont moins de 25 ans et le taux de chômage avoisine 50 %. La grande majorité d’entre eux ne sont jamais sortis de l’enclave. C’est cette jeunesse-là qui a manifesté et qui en a payé le prix (plus de 100 morts depuis la fin de mars et des milliers de blessés). Des 60 personnes mortes lundi, seules quelques-unes étaient armées, a reconnu l’armée israélienne.

On ne pourra pas faire taire les Palestiniens des territoires en les enfermant. Leur colère trouvera toujours à exploser — et, de ce fait, leur culture martyrologique à s’enraciner si rien ne change. C’est par ricochet une logique qui expose Israël à se voir obligé de se barricader lui-même. On sous-estime, qui plus est, la part d’empathie qui existe au sein de la société israélienne pour les Palestiniens. Israël ne se résume pas à son gouvernement militariste de droite dure, loin s’en faut. Le drame, et il est grand, c’est que les voix qui ne partagent pas l’approche du premier ministre Benjamin Nétanyahou ont rarement eu autant de mal à se faire entendre. On est bien loin des accords d’Oslo.

L’ex-président Barack Obama avait des relations notoirement mauvaises avec M. Nétanyahou — ce qui n’a jamais empêché les États-Unis, sous sa présidence, de soutenir massivement Israël sur les plans militaire et économique. M. Trump a peut-être le mérite de mettre au jour l’hypocrisie de l’aura de neutralité qu’affichait Washington dans le débat israélo-palestinien. Mais, par-dessus tout, il renforce le pouvoir et l’influence de tout ce qu’il y a de pire en Israël, en politique intérieure comme à l’échelle régionale, maintenant qu’il a retiré les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, en bon élève de M. Nétanyahou. Ce qui revient pour M. Trump à carrément encourager, par Syrie interposée, une escalade militaire entre Israël (qui dispose en catimini de l’arme nucléaire) et Téhéran (qui pourrait maintenant décider de s’en prévaloir).

Ne reste, dans l’état actuel des choses, qu’à appeler l’Europe à la rescousse. M. Trump est un contre-exemple qui la presse de s’ériger en contre-pouvoir.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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