Rémunération des médecins: opacité et indécence
Toutes sommes confondues, les médecins spécialistes toucheront un total de 4 milliards de plus pour la durée de leur entente. Le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand, préfère avancer un plus petit chiffre, ne voulant pas qu’on additionne ce que son gouvernement doit à ce qu’il a promis à des médecins déjà gavés, ni à ce qui est lié à la hausse du nombre de médecins et des actes. C’est son choix et c’est un réflexe naturel. Mais en définitive, c’est l’État, c’est-à-dire les contribuables, qui casque pour ces ententes byzantines et opaques dont l’indécence n’est plus à démontrer.
Il ne faut pas trop en vouloir aux journalistes d’avoir sous-évalué la note que le gouvernement Couillard s’est engagé à payer en signant la dernière entente avec les médecins spécialistes. Il y a dans cette entente des sommes dues, non récurrentes, engagées avant même que l’entente soit signée, des sommes dues, non récurrentes, à payer maintenant ou plus tard, d’autres qui représentent une dette à payer après le terme de l’entente en 2023, des sommes récurrentes qui sont des hausses de tarifs, d’autres qui s’appliquent à « l’évolution de pratique », ce qui correspond à une augmentation des effectifs, des actes médicaux et des primes « pour améliorer l’accessibilité aux services ». Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
Les premiers intéressés, les médecins, n’y comprennent que dalle. Le médecin et député de Québec solidaire Amir Khadir faisait remarquer que « le détail de ces ententes est très compliqué, la rémunération à l’acte permet ce genre de tour de passe-passe où on n’y comprend rien ». On peut croire qu’une part de l’ascendance dont jouit la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) sur ses membres vient du fait que ses dirigeants sont capables, eux, de déchiffrer ces ententes absconses.
Dans cette valse des milliards, la mesure la plus éloquente de l’ampleur éhontée des hausses consenties aux médecins, c’est la croissance de la part de leur rémunération dans le budget total de la santé. Ainsi, le pourcentage de cette rémunération dans ce budget s’élevait à 14,9 % en 2006-2007 pour se retrouver à 21,2 % dix ans plus tard. Le même gouvernement libéral, qui est responsable de cette explosion de 40 % de la part des médecins dans les dépenses de santé, se vante aujourd’hui de maintenir à 20 % cette proportion. Tout un exploit.
Le gouvernement affirme qu’il a toujours été « transparent » dans la gestion de ces ententes : une transparence qui s’est manifestée après coup, après que les milliards eurent coulé à flots au terme de tractations tenues secrètes. Il est vrai que les ententes sont désormais publiées en ligne. Or, leur interprétation et leur application des plus complexes sont plutôt un gage d’opacité. C’est d’ailleurs une tactique éprouvée pour contrôler l’information que d’ensevelir les journalistes sous une tonne de documents, de chiffres et d’interprétations. Heureusement que certains d’entre eux s’échinent à faire la lumière.
Car cette opacité est systémique. Tant le gouvernement que les médecins ont intérêt à présenter un portrait financier qui les avantage. Ce même gouvernement, qui se gargarise de transparence, a aboli les instances, comme le Commissaire à la santé et au bien-être, qui auraient pu fournir une évaluation objective de ces ententes. Cette opacité persistante milite pour la création d’un poste de Directeur parlementaire du budget, comme il en existe à Ottawa. Pour l’heure, le président du Conseil du trésor en est réduit à expliquer l’inexplicable et à défendre l’indéfendable.