Rana Plaza: l’industrie du prêt-à-exploiter
Quelque 90 % des vêtements achetés au Canada sont fabriqués à l’étranger. Et si les principaux approvisionneurs demeurent, et de loin, les ateliers chinois, la part du Bangladesh dans les importations canadiennes est aujourd’hui supérieure à 10 %, ce qui n’est pas rien. Ce qui fait qu’en aval, la tragédie du Rana Plaza, survenue il y a cinq ans cette semaine, nous interpelle tous comme consommateurs de manière assez directe, qu’on le veille ou non.
Le Rana Plaza, un immeuble de huit étages situé en banlieue de Dacca, s’est effondré le 24 avril 2013, faisant 1138 morts et plus de 2000 blessés parmi les quelque 5000 personnes, en majorité des femmes, qui y travaillaient dans des conditions de misère. Ce n’était pas le premier accident à se produire dans l’industrie textile bangladaise, mais ce fut le plus grave. Les opinions internationales s’en sont émues ; les grandes marques occidentales qui y faisaient fabriquer leurs produits, comme Gap et Benetton, ont été stigmatisées.
L’émoi fit que les victimes furent indemnisées et que la sécurité des usines fut améliorée. Sous pression, le gouvernement bangladais a réformé ses lois du travail, faisant voter une augmentation du salaire minimum de 70 % et réduisant les embûches à la syndicalisation pour les quelque deux millions de travailleuses employées dans les 5000 usines du pays.
Mais, cinq ans plus tard, ces gains demeurent dans les faits insuffisants, sinon tout simplement théoriques. Si le salaire minimum mensuel de ces travailleuses du textile est passé de 44 $CAN à 94 $CAN, ces dernières restent les moins bien payées du monde. Face aux syndicats, le patronat persiste impunément dans ses pratiques de harcèlement, avec congédiements massifs d’employés trop revendicateurs et poursuites en justice contre les leaders syndicaux. La fédération patronale de l’habillement dispose d’une énorme influence sur le gouvernement bangladais, comme l’industrie textile, responsable de 80 % des exportations du pays, est un moteur de l’économie nationale. Il ne faut donc pas s’étonner que les procès contre les propriétaires du Rana Plaza n’aient pas abouti.
Après les mea culpa, les multinationales n’ont quant à elles pas modifié, ou si peu, un modèle d’affaires fondé sur les coûts de production les plus bas possible et des délais de livraison très serrés, ne se gênant pas d’ailleurs pour jouer les pays les uns contre les autres. C’est pourquoi, tant que ce modèle vivra, l’industrie du prêt-à-porter reposera sur une logique du prêt-à-exploiter.