Agriculture: plus de la même chose
Québec a présenté la semaine dernière sa politique bioalimentaire 2018-2025. Une politique que l’on peut qualifier pour le moins de modeste, voire d’ignorante des menaces du commerce international autant que de l’évolution rapide des exigences du consommateur. En somme, une politique préélectorale conçue pour plaire à ceux qui profitent du statu quo.
Le ministre Laurent Lessard n’a pas hésité à qualifier d’ambitieuse sa politique qui vise à accroître les exportations agricoles annuellement de 6 % d’ici 2025, les investissements de 4,5 % après des années anémiques à 0,8 %, et de doubler la superficie des terres consacrées à l’agriculture bio. À l’heure actuelle, le bio n’occupe que 2,4 % du territoire cultivé, ce qui est vraiment très peu quand on considère la quantité et la variété des produits bio importés qui sont offerts dans le commerce.
La politique propose aussi d’aider la relève, d’accentuer la recherche et d’encourager la formation de la main-d’oeuvre, de soutenir les transformateurs et les détaillants dans leurs efforts pour offrir des produits meilleurs pour la santé et mieux étiquetés. Mais pas question de forcer à indiquer quedes produits contiennent des OGM.
Pour atteindre ces cibles et quelques autres, le gouvernement Couillard a prévu d’ajouter 349 millions de dollars d’ici cinq ans au milliard de fonds publics dépensés annuellement et dont une bonne partie sert à compenser les revenus des plus grands producteurs de viande animale et de céréales lors d’épidémies ou de chutes des prix du marché.
Tous les gouvernements des pays développés soutiennent leur agriculture d’une façon ou d’une autre. Certains le font avec des subventions, d’autres en suppléant aux baisses de revenus causées par la nature ou par les fluctuations du marché, d’autres encore en érigeant des barrières tarifaires pour éliminer toute concurrence étrangère.
Au Canada, ces trois outils sont utilisés, selon les secteurs, avec plus ou moins de bonheur. S’il est vrai que la gestion de l’offre protège très bien les revenus des éleveurs de volaille, les producteurs d’oeufs et de lait en faisant correspondre l’offre à la demande et en interdisant les importations grâce à des tarifs exorbitants, cette technique qui assure un revenu stable aux producteurs s’accompagne d’effets pervers.
D’abord, le prix est plus élevé pour les consommateurs. Ensuite, avant même de se lancer en production, non seulement un jeune agriculteur doit avoir une ferme et des bêtes, mais il doit acheter des quotas de production dont le prix excède le million et demi de dollars pour une soixantaine de vaches en lactation.
Malheureusement, l’absence de concurrence et l’ajustement automatique des prix aux coûts de production ralentit la modernisation, limite la recherche de nouveaux produits et débouchés et érige d’impossibles barrières à l’entrée des jeunes producteurs dont les parents ne sont pas déjà dans le métier.
Quant à la stabilité des fermes familiales, notons que leur nombre a chuté de 14 000 à 5400 depuis 25 ans, sans diminution de la quantité de lait produite. Malgré l’équilibre entre l’offre et la demande, on a quand même dû jeter un million de litres de lait écrémé à l’égout, en février dernier, faute de pouvoir vendre ce lait à bas prix.
Selon La semaine verte, on a même dû faire euthanasier des dizaines de veaux malades conduits à l’encan trop jeunes parce que des producteurs ne veulent pas dépenser pour soigner ces petits mâles qui ne produiront jamais de lait, seule source véritable de revenus dans ce système.
Le produit lui-même est d’aussi bonne qualité qu’ailleurs, mais d’une uniformité que n’importe quel Européen jugera désespérante.
Pour ce qui est de la volaille, toute la volaille vendue dans nos supermarchés, il n’y a vraiment rien d’invitant à savoir qu’elle a été traitée de façon préventive aux antibiotiques qui servent, du même coup, de facteurs de croissance.
Que l’on conserve la gestion de l’offre pour la production de masse passe encore. Mais qu’attend-on pour ouvrir plus largement l’industrie et l’aide gouvernementale à tous ceux qui veulent produire autre chose, autrement ?
À l’heure où le monde entier accuse le Canada d’hypocrisie (libre-échange pour le porc, les céréales et le bois, mais protectionnisme pour le lait, la volaille et les oeufs), la politique de Québec ne prévoit rien pour faire face à l’éventualité d’un troc de fin de négociations de l’ALENA. On joue à l’autruche tout en sachant qu’il faudra faire des concessions, comme ce fut le cas lors des négociations avec l’Europe.
Si la seule issue envisagée par l’UPA est de réclamer une aide gouvernementale équivalente à toute perte de revenus pour les producteurs, on ne peut pas sérieusement parler de politique bioalimentaire d’avenir.