Cinquième budget Leitão, ou l’art d’épuiser les marges de manœuvre
Le dernier budget Leitão a des allures de feux d’artifice censés charmer tout un chacun. Y figurent une croissance notable des dépenses en santé et en éducation ainsi qu’une foule de nouveaux engagements en matière de culture, de mobilité durable, de justice, de réduction du fardeau fiscal des petites et moyennes entreprises. Mais c’est au prix d’un retour aux déficits — si on exclut les versements au Fonds des générations — que viennent éponger des surplus amassés grâce aux mesures d’austérité.
Ce qui frappe, dans ce budget, ce n’est pas tant la hauteur de la hausse de dépenses de programme — un solide 5,2 %, un sommet en dix ans — que la panoplie des mesures promises et la diversité des secteurs visés. Manifestement, le gouvernement Couillard, en cette année d’élection, ne voulait oublier personne, ou presque.
Ainsi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, aura suffisamment d’oxygène pour pallier les besoins courants du réseau de la santé et arriver possiblement à une entente avec les infirmières. Même chose pour son collègue Sébastien Proulx, bien qu’on déplore, du côté syndical, que l’argent frais annoncé, mardi, ne compense pas toutes les coupes en éducation des dernières années.
Carlos Leitão a voulu panser les plaies des propriétaires de PME en réduisant la taxe sur la masse salariale et l’impôt sur leur profit, en vue d’atténuer l’effet de la hausse du salaire minimum et l’ajout de congés payés pour leurs employés. Main-d’oeuvre, développement économique des régions, transformation numérique, aide accrue aux agriculteurs sont aussi au menu et bénéficient d’investissements substantiels.
Le ministre des Finances a même prévu 500 millions en cinq ans pour améliorer l’accès à la justice. Il ajoute 1,8 milliard à la politique de mobilité durable — plus du double de ce qui avait été annoncé l’an dernier — dont une bonne part sera vouée à augmenter de 25 % l’offre en transport collectif. En matière de culture, le gouvernement Couillard y va aussi d’un investissement significatif. Pour faire bonne mesure, son budget contient aussi de l’aide fiscale visant les familles, les proches aidants et les aînés. Un nouveau programme d’aide à l’accès à une première propriété est une tentative de rallier les jeunes familles. Et c’est sans oublier la baisse de la taxe scolaire, soit près de 700 millions sur une base annuelle.
Carlos Leitão, qui s’est défendu d’avoir « juste garroché de l’argent », a réussi à satisfaire un peu tout le monde. Il est vrai que les mesures annoncées ne sont pas frivoles.
Mais pour financer une hausse de dépenses de 3,7 milliards, on pige 1,6 milliard dans le fonds de stabilisation en 2018-2019 et un milliard l’an prochain. Or si le gouvernement libéral frappe un grand coup cette année, il prévoit une réduction de la croissance des dépenses dès l’an prochain.
C’est ce qu’il y a de plus discutable dans ce budget. En accaparant une bonne partie des marges de manoeuvre et les surplus, il impose un carcan financier aux partis d’opposition. C’est là un effet pervers des élections à date fixe : l’année du scrutin, le parti au pouvoir vide les coffres de façon à priver ses adversaires des moyens pour financer leurs engagements électoraux.
En vertu des nouvelles règles entourant les élections à date fixe, la vérificatrice générale du Québec produira cet été un rapport sur l’état des finances publiques. Carlos Leitão a beaucoup insisté sur ce point. Aux partis d’opposition de se débrouiller, a-t-il laissé entendre. « Le cadre financier est bien établi », a-t-il dit. La manoeuvre est grossière.
Depuis leur arrivée au pouvoir, les libéraux se sont distingués par les fluctuations auxquelles ils ont soumis la croissance des budgets de l’État. C’est 5,2 % aujourd’hui, c’était 2 % hier, et ce sera 3,5 % demain. L’austérité que d’aucuns trouvaient trop draconienne avait au moins le mérite de viser l’assainissement des finances publiques. Mais aujourd’hui, le gouvernement Couillard ne poursuit d’autre objectif que sa réélection.
La création à Québec d’un poste de directeur parlementaire du budget, comme il en existe un à Ottawa, ne pourrait empêcher un gouvernement aux abois d’user de tactiques douteuses. Mais au moins, une telle instance permettrait d’obtenir un point de vue non partisan sur des manoeuvres budgétaires qui favorisent le parti au pouvoir.