Poursuite de 96 millions contre Grenville: un terrain miné

Après Ristigouche, c’est au tour d’une autre petite municipalité, Grenville-sur-la-Rouge, d’être la cible d’une poursuite de la part d’une entreprise dont elle ne veut pas de l’exploitation sur son territoire. Canada Carbon, qui projette de creuser une mine de graphite à ciel ouvert, lui réclame 96 millions. Pendant ce temps, le gouvernement Couillard laisse les petites localités se dépêtrer seules contre les compagnies minières et pétrolières.

Élu en novembre 2017, le nouveau conseil municipal de Grenville dirigé par le maire Tom Arnold s’oppose au projet de mine de graphite de l’entreprise de Colombie-Britannique Canada Carbon, un projet pourtant approuvé par l’ancienne administration. À la fin de l’année, le conseil municipal a modifié le règlement qui accordait à la minière le droit d’exploiter une carrière sur le territoire de la municipalité.

Puis, comme Canada Carbon avait besoin d’une autorisation de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), le conseil municipal a adopté un avis de non-conformité destiné à cette instance, relève l’entreprise. La CPTAQ a donc fermé son dossier.

Le nouveau conseil municipal est formé d’anciens membres d’un groupe de citoyens qui s’étaient mobilisés pour contrecarrer le projet, dénonce la compagnie dans sa poursuite en dommages-intérêts. Selon la minière, le maire et les conseillers municipaux ont agi « de façon abusive » dans le but de bloquer « indûment et malicieusement » son projet.

Canada Carbon invoque aussi l’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui fait qu’aucun règlement de zonage municipal ne peut affecter les droits miniers et empêcher l’exploitation d’une mine.

Le montant de la poursuite en Cour supérieure — 96 millions — est faramineux : Canada Carbon ne réclame pas les dépenses engagées jusqu’ici pour le développement de ses droits miniers (claims) mais les profits qu’elle entendait tirer de l’exploitation de la carrière. On verra ce qu’un juge en dira.

Cette somme représente près de 20 fois le budget annuel de 5,5 millions de Grenville, qui compte quelque 2800 habitants, a signalé la municipalité.


 

La semaine dernière, la juge Nicole Tremblay, de la Cour supérieure, donnait toutefois raison à la minuscule municipalité de Ristigouche-Partie-Sud-Est et à ses 158 habitants contre la pétrolière Gastem. La municipalité avait adopté en 2013 un règlement pour déterminer les distances séparatrices entre le forage d’un puits de pétrole, notamment, et les sources d’eau potable. Le règlement interdisait l’introduction dans le sol de toute substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau, et ce, dans un rayon de deux kilomètres autour de tout puits artésien ou de surface. Or la plateforme de forage de Gastem, qui poursuivait la Ville pour une somme d’un million, se situait à l’intérieur de cette zone.

La juge avait statué que la municipalité devait assumer ses responsabilités en matière de protection de l’environnement et qu’elle avait le devoir de faire respecter sur son territoire le principe de précaution. Le tribunal a ainsi tranché en faveur de l’intérêt public par rapport aux intérêts privés de Gastem.

Or il n’est pas assuré que le juge dans la cause de Canada Carbon arrivera à des conclusions semblables. En outre, dans le cas de Ristigouche, la municipalité a dû faire appel à du sociofinancement pour payer ses frais de défense. Les frais juridiques pourraient peser sur les finances de Grenville également. Et c’est sans parler de l’incertitude que fait planer la poursuite sur la municipalité menacée.

À la Fédération québécoise des municipalités (FQM), on réclame depuis longtemps l’abrogation de l’article 246 qui fait en sorte que le développement minier a préséance sur l’aménagement urbain.

En outre, comme le constate le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) dans son rapport sur les enjeux de la filière uranifère au Québec, le gouvernement libéral n’a pas mis en vigueur l’article 304.1.1 de la Loi sur les mines adoptée en 2013 sous le gouvernement Marois. Si cet article était en vigueur, les MRC pourraient modifier leur schéma d’aménagement afin de soustraire à l’emprise des détenteurs de claims les territoires qu’elles jugent incompatibles avec l’activité minière.

Or le gouvernement Couillard préfère le laisser-faire en la matière, laissant les petites municipalités se démener et assumer seules les coûts des poursuites et l’insécurité financière qui les accompagne. Pour le bien des municipalités mais aussi de l’industrie, c’est à lui de prendre ses responsabilités.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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