Une année perdue
Il y a un an aujourd'hui, le Parti libéral du Québec était porté au pouvoir. Rapidement, Jean Charest a voulu mettre en oeuvre le programme de changement qui lui avait servi de plate-forme électorale. Mal préparées, parfois improvisées, les réformes de cette première année auront fait se braquer syndicats et groupes communautaires ainsi qu'une majorité de l'électorat. Bilan: une année de perdue.
Le premier ministre Charest n'a cessé, ces derniers mois, de rappeler à ceux qui contestaient ses politiques qu'ayant été élu pour changer les choses, personne n'avait à être surpris qu'il le fasse. Si cela est vrai, les Québécois auront eu raison toutefois d'être surpris, sinon choqués, par la façon dont ce gouvernement s'y prenait en agissant envers et contre tous. Ce n'est pas ce qu'on attendait des libéraux.Le 14 avril 2003, le désir de changement était un sentiment largement partagé par les électeurs qui, redoutant l'approche trop radicale de l'ADQ et l'inexpérience de ses dirigeants, avaient opté pour le Parti libéral que l'on a cru lorsqu'il affirmait être prêt. Dans un cas comme dans l'autre, il n'en était rien.
Prêt, ce gouvernement ne l'était pas. Sauf de rares exceptions, les ministres étaient sans expérience, ce qui a entravé le travail du gouvernement d'autant plus que le premier ministre était résolu à agir vite. Dans son esprit, plus il tarderait à engager ses réformes, plus elles seraient difficiles à réaliser. Il ne fallait donc pas s'arrêter aux résistances des groupes d'intérêt.
Résultat: des changements comme l'augmentation des frais de garde dans les centres de la petite enfance suscitèrent une levée de boucliers rarement vue. S'est installée dès lors une méfiance dont on aurait pu faire l'économie si on avait inscrit la hausse des frais de 5 $ à 7 $ dans le cadre d'une politique de la famille. Les exemples où on a ainsi inversé les processus sont nombreux. Modifiant dès son entrée en fonction les règles de réinsertion en emploi pour les assistés sociaux, le ministre Claude Béchard dut ainsi tout revoir tant l'approche coercitive se révéla improductive. Il lui aura fallu presque un an de travail pour corriger une erreur inspirée par le désir d'agir rapidement.
Radical, le gouvernement Charest l'aura été tout autant qu'aurait pu l'être l'ADQ. La volonté de rompre avec les politiques du gouvernement précédent était manifeste. À la social-démocratie des péquistes, il voulait substituer une approche individualiste. D'où les projets de réduction de la taille de l'État pour en diminuer les coûts et réduire les impôts. Ce gouvernement allait être au service des individus et non des groupes. Question de bien se faire comprendre, le premier ministre fut d'une rare intransigeance au moment d'adopter des changements controversés au Code du travail.
Cette première année fut plus ardue que Jean Charest l'avait imaginé. Gouverner était plus difficile que cela paraissait des banquettes de l'opposition. La chute rapide de popularité de son gouvernement le convainquit qu'il devait changer d'attitude. D'où l'idée des forums pour instaurer un dialogue avec ses concitoyens, d'où l'idée d'un budget plutôt social-démocrate pour renouer avec les familles, d'où aussi le discours plus modéré pour présenter ses projets de réforme.
Changer d'attitude ne signifie pas changer de cap. Les grandes orientations gouvernementales demeurent, M. Charest ne cesse de le réitérer. Le défi pour lui sera de convaincre ses concitoyens que les changements proposés sont nécessaires et ne relèvent d'aucun dogmatisme.
C'est autour du vaste chantier de la modernisation de l'État que l'avenir du gouvernement Charest se jouera. Ce projet est celui auquel le premier ministre tient le plus. La tentation de vouloir forcer la mesure pourra être forte. Ici, le mieux serait l'ennemi du bien. Vouloir tout changer pourrait conduire à un refus de tout changement alors même qu'il y a des façons de faire et des structures à remettre en question au sein de l'appareil étatique. Ce serait perdre du temps que de faire des réformes mal acceptées qu'un prochain gouvernement se hâterait d'annuler. C'est là une chose que les libéraux devraient savoir, eux qui n'ont pas hésité à remettre en cause les fusions municipales.
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