Afrique du Sud: l'ANC en état de panique
Cyril Ramaphosa a officiellement pris jeudi le relais de Jacob Zuma à la présidence de l’Afrique du Sud, enfourchant le cheval de bataille de la lutte anticorruption. L’engagement est tardif.
C'est un parti en état de panique qui a finalement décidé de prendre le taureau Zuma par les cornes et de le chasser de la présidence. Pour le Congrès national africain, il s’agit bien de sauver les meubles à un an des élections générales de 2019. L’ANC est en effet un parti qui s’est discrédité en fermant les yeux pendant des années sur la conduite de Jacob Zuma, écrivait cette semaine le correspondant du Monde. Pendant plus d’une décennie, à vrai dire : le parti a laissé M. Zuma devenir président une première fois en 2009 alors qu’il faisait déjà l’objet d’une procédure judiciaire dans une histoire de vente d’armes et qu’on le savait impliqué dans une épouvantable affaire de viol.
« Pour sortir de cette mauvaise passe qui mène l’ANC vers une catastrophe électorale potentielle, écrit Jean-Philippe Rémy, Cyril Ramaphosa doit agir pour faire la preuve que le parti est plus qu’une association de parasites vivant des dividendes de la lutte de libération contre l’apartheid. » Voilà bien ce que l’ANC est devenu sous M. Zuma : une caste qui s’est copieusement enrichie sans que l’Afrique du Sud voie la vie collective de la majorité noire s’améliorer vraiment. Encore que cette sale dynamique lui était manifestement antérieure. Toujours est-il qu’elle s’est creusée pour M. Zuma. Les scandales de corruption et de prévarication n’auront pas cessé de pleuvoir sur sa présidence, sans que l’ANC, grevé par ses luttes de clans et tout à la conservation du pouvoir, lève le petit doigt.
Qui dit chasser M. Zuma dit nécessairement partir aux trousses de la richissime famille Gupta. L’un n’allait pas pouvoir se faire sans l’autre. À défaut, les efforts de purification de l’ANC sonneraient creux. La proximité de Jacob Zuma avec les frères Gupta était devenue telle qu’on parlait en Afrique du Sud du « régime des Zupta ». Cette famille d’origine indienne n’est pas seulement mêlée à de multiples affaires de corruption. Il était de surcroît bien documenté qu’elle était parvenue à tenir la présidence en laisse, capable d’aiguiller la gestion des affaires de l’État et d’intervenir dans le choix des ministres. D’où la perquisition mercredi à la propriété des Gupta à Johannesburg, considérée comme une sorte de présidence « bis », et du lancement d’un mandat d’arrêt pour détournement de fonds et trafic d’influence contre l’un des frères en fuite.
Le symbole est fort, mais cela suffira-t-il ? M. Zuma n’exerçait pas le pouvoir, il le marchandait de façon hallucinante. Dans un contexte où l’ANC a mainmise sur l’État depuis près de 25 ans, qui dit qu’un réseau de corruption n’en remplacera pas maintenant un autre ?
En rénovateur de la vie politique et démocratique sud-africaine, les engagements de Cyril Ramaphosa souffrent d’un problème de crédibilité. Venu à la lutte de libération par le syndicalisme, dauphin dans les années 1990 de Nelson Mandela, il est allé faire fortune dans les affaires après que l’ANC lui eut préféré Thabo Mbeki comme candidat à la présidence. Ses ambitions sont donc anciennes. Devenu vice-président du pays en 2014, il aura réussi à ne pas se laisser salir par les dérives du chef. Ce qui en laisse plusieurs dubitatifs : « Au mieux silencieux, au pire complice », l’étrille le chef de l’opposition Mmusi Maimane.
Le scénario ressemble à s’y méprendre à ce qui vient de se passer au Zimbabwe voisin. Robert Mugabe et Jacob Zuma, remplacés par des hommes du sérail pour cause de conjoncture devenue invivable. Pour l’heure, il n’y a de changement qu’en surface.