Revue de presse - Le Québec social-démocrate, modèle ou repoussoir?

Le Toronto Star est l'un des seuls journaux du ROC à tenir, à l'occasion, des propos quelque peu positifs sur l'État du Québec (j'exagère à peine). Par exemple, c'est le seul journal, il y a cinq ans, qui avait salué en éditorial la mise en place, par le gouvernement Bouchard, des garderies à 5 $ par jour (désormais à 7 $). Hier, Carol Goar, chroniqueuse émérite du Star, affirmait qu'avec la réforme du ministre de l'Emploi, Claude Béchard, le Québec est «d'avant-garde en matière d'aide sociale».

C'est une surprise, dit Goar, puisque le gouvernement Charest a été élu en promettant de réduire la taille et les dépenses de l'État. Mais voilà qu'il rend public un programme où il se débarrasse de l'esprit du workfare coercitif, théorie en vogue dans les années 80 selon laquelle il faut «punir la paresse des prestataires». Béchard abolit en effet les pénalités pour les bénéficiaires de l'aide sociale qui refusent de travailler et offre au contraire une «généreuse prime» à ceux qui travaillent. Son modèle est incitatif: «Partout au pays, écrit Goar, c'est avec un mélange d'intérêt et d'appréhension que les décideurs politiques observent l'expérience du Québec. Ils espèrent que cela va fonctionner tout en craignant le prix d'une telle mesure.»

Comme on le sait, dans le plan Béchard, tous les bénéficiaires de l'aide sociale auront droit à un minimum de 533 $ par mois. Ceux qui peuvent montrer qu'ils cherchent activement un emploi seront admissibles à une prime de 150 $ par mois. Goar considère comme une excellente chose d'utiliser ainsi la carotte plutôt que le bâton. De toute façon, fait-elle remarquer, les études démontrent que le bâton ne fonctionnait presque pas. Goar souligne avec enthousiasme quelques autres mesures du gouvernement Charest: hausse du salaire minimum à 7,45 $ l'heure alors que celui de l'Ontario est de 7,15 $, investissement de 329 millions dans le logement social. Bien sûr, dit Goar, le gouvernement Charest fait cela parce que sa popularité est en chute libre et que les syndicats lui promettent le pire.

Elle souhaiterait voir l'esprit de la réforme Béchard — dans laquelle elle voit la fin du «welfare bashing» — se répandre dans le ROC. Mais elle doute grandement de cette possibilité. Elle croit que tous les Canadiens qui veulent qu'on en finisse avec une ère de «dureté à l'endroit des pauvres» espèrent que l'expérience du Québec soit couronnée de succès. «Si M. Béchard peut montrer que, grâce à sa réforme, les bénéficiaires rentrent sur le marché du travail en nombre significatif, les autres provinces n'auront d'autre choix que de suivre son exemple. Ce serait d'une sublime ironie si Jean Charest, qui se présentait comme le politicien qui allait rendre le Québec plus semblable à ses pingres de voisins, devenait celui qui fait en sorte que le reste du Canada ressemble un peu plus au Québec.»

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Le Québec est un des peuples les plus syndiqués au monde. «Plus de 40 % des travailleurs québécois appartenaient à un syndicat en 2003», comparativement à 32 % dans tout le Canada et 14 % aux États-Unis. Les taux québécois dépassent aussi ceux de l'Italie, de la France et de l'Allemagne. C'est ce que rappelait Konrad Yakabuski dans le Globe and Mail mercredi.

Aux États-Unis, on a remarqué ces chiffres, dit-il. Si bien que «la United Food and Commercial Workers, un syndicat américain, a choisi le Québec lors d'une réunion en décembre dernier pour tenter une percée dans le monde des Wal-Mart». D'autant plus que la province «a de nombreuses lois favorables aux syndicats». Mais comme on le sait, la tentative a échoué de peu: 74 voix contre, 65 pour. Yakabuski fait remarquer qu'il n'y a pas vraiment eu de vague de sympathie à l'endroit des «braves travailleurs» du Wal-Mart de Jonquière, qui ont pourtant tenté de s'en prendre au géant de la vente au détail.

Pourquoi?, se demande-t-il. «Un sondage effectué pour le magazine L'Actualité révèle que moins d'un quart des Québécois ont dit qu'ils faisaient confiance aux syndicats alors que 44 % d'entre eux disent franchement qu'ils ne leur font pas confiance.» Mais Yakabuski note que si les employés de Jonquière ont refusé le syndicat, ce n'est pas seulement par manque de confiance mais en raison du traumatisme des nombreuses pertes d'emplois dans la région du Saguenay. Reste que les syndicats, au Québec, n'ont plus très bonne image. En témoigne, dit le journaliste, le portrait qu'en a brossé Denys Arcand dans Les Invasions barbares: les syndicalistes y ont davantage l'air de «motards des Hells Angels» que de militants pour les droits des travailleurs. Les organisations de travailleurs devraient y voir, dit-il.

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Dans le Globe and Mail d'hier, le chroniqueur de gauche Rick Salutin s'en prenait aux préjugés des Canadiens à l'endroit des États-Unis. «Nous sommes des experts pour caricaturer les États-Unis [...], pensons à l'émission This Hour Has 22 Minutes, [...] mais nous n'excellons pas à comprendre les États-Unis.» Tout ce qui nous intéresse au sud de la frontière, selon Salutin, «c'est l'absurdité, la prétention, les grands airs, les illusions que les Américains entretiennent sur eux-mêmes». Mais en raison de cette vision partiale et partielle, extérieure, nous tendons à «être déconcertés» lorsqu'ils prennent leurs valeurs au sérieux. Salutin s'attarde aux difficultés des États-Unis en Irak, qui se sont fortement aggravées cette semaine. «C'est le pire scénario qui est en train de se réaliser.» Ainsi, on peut bien expliquer «la plupart des politiques américaines en Irak par la realpolitik et l'ignorance crasse, etc., mais pas le fait de s'engager librement dans le scénario d'horreur» où chiites et sunnites font alliance.

Or qu'a dit la chroniqueuse Naomi Klein cette semaine dans le Globe? Elle a affirmé, rapporte Salutin, que l'administration Bremer poussait les chiites à la bataille. Bref, en créant le chaos en Irak, les Américains pourront plus aisément déclarer qu'il est possible d'y rester et auront donc une bonne raison de se retirer. Salutin rétorque que «cela est hautement improbable». Il estime que cette vision paranoïaque des États-Unis fait l'impasse sur un aspect fondamental de ce pays: «il y a de vrais patriotes américains». Ceux qui ont gardé le cap sur l'idéal «se sont opposés aux interventions américaines à l'étranger non pas parce qu'ils s'en faisaient pour les habitants des pays envahis mais parce que cela sapait le meilleur des valeurs américaines aux États-Unis.» Ainsi, Mark Twain s'était opposé aux conquêtes de Cuba et des Philippines. «Dans cette lignée aujourd'hui, il y a Michael Moore, Ralph Nader et probablement Howard Dean.» Bref, on peut être patriote américain et contre la guerre en Irak. Ce que les Canadiens n'arrivent pas à saisir.

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